DISCOURS PRÉLIMINAIRE
Les poésies que je présente ici au public
roulent sur des objets qui méritent son attention. Elles sont même,
j'ose le dire, d'un genre plus neuf que leur titre ne semble l'annoncer
(Texte 1). Plusieurs de nos poètes se sont
exercés sur les psaumes de David, et sur quelques cantiques des
Livres Saints (Texte 2). Mais on n'a point touché
aux prophéties; et à l'égard des hymnes, on s'est
contenté de traduire une partie de celles qu'on lit dans les bréviaires.
J'ai rassemblé dans ce volume des psaumes, des cantiques, des prophéties,
et des Hymnes qui ne sont point des traductions.
Indépendamment de cette variété
générale qui distingue entre eux les différents livres
(Texte
3) de ce recueil, je me suis attaché encore à la conserver,
autant qu'il a dépendu de moi, dans chaque livre en particulier,
en diversifiant les sujets, la mesure et le style. L'Ecriture Sainte est
si variée, qu'il y aurait bien du malheur à être uniforme
et monotone quand on écrit d'après elle. Quels ouvrages peuvent
lui être comparés! Quelles histoires sont plus touchantes!
Quels poèmes sont aussi sublimes! Où trouve-t-on ce mélange
heureux et jamais interrompu de grandeur, de simplicité, de force
et d'agrément, qui la met si fort au-dessus des plus magnifiques
productions de l'esprit humain? Pour comble de perfection, son caractère
propre est d'émouvoir, d'intéresser
(Texte
4) et de parler toujours au coeur. Le sentiment domine dans tout ce
que l'Esprit Saint a dicté aux hommes inspirés. Ce même
avantage devrait aussi caractériser leurs traducteurs
(Texte
5).
On a cependant reproché à Rousseau
(Texte 6) d'être un peu sec dans ses odes sacrées
quand les grandes images l'abandonnent, d'ignorer le langage tendre et
affectueux, en un mot, de manquer de sentiment. Mais ce reproche est-il
bien juste? J'aurais de la peine à y souscrire. Plusieurs pièces
de Rousseau réclamant contre la sévérité de
ce jugement. Si j'ouvre son livre et que je tombe sur l'Ode septième:
Que la simplicité d'une vertu paisible
Est sûre d'être heureuse en suivant le Seigneur!
ou sur la douzième, qui commence ainsi:
Dans ces jours destinés aux larmes
Où mes ennemis en fureur ...
Si je relis l'admirable Cantique d'Ezéchias:
J'ai vu mes tristes journées
Décliner vers leur penchant.
Si je m'arrête enfin à cette épode, l'un des derniers
fruits de sa muse, je m'écrie, malgré les endroits faibles
échappés à sa vieillesse, n'est-ce point-là
de l'onction, de la douceur, de l'aménité! N'est-ce pas le
langage du coeur et du sentiment!
J'accuserais plus volontiers Rousseau de n'être pas
toujours (Texte 7) aussi énergique, ni aussi sublime
dans ses poésies sacrées, que le sujet semble l'exiger. Je ne
prétends point le rabaisser par-là (Texte 8).
Lorsqu'il manie la lyre profane, c'est la chaleur d'Horace; c'est l'emportement
(Texte 9) de Pindare. S'il n'atteint pas ces deux poètes,
il les suit de près, et laisse bien loin derrière lui tous les
lyriques modernes. David est un rival plus redoutable (Texte
10). De là vient que nous avons en français un assez grand
nombre de très bonnes odes sur des sujets profanes, quoique inférieures
à celles de Rousseau, et que dans la multitude immense des versions rimées
qu'on a faites des psaumes et des cantiques de la Bible il y en a bien peu dont
un connaisseur, un homme de goût soutienne aisément et sans ennui
la lecture.
C'est qu'on traite un peu trop légèrement
ce genre de poésie. On croit qu'il est fort facile de composer une
ode sacrée, un cantique; et tel versificateur qui n'oserait traduire
un endroit de Virgile ou une ode d'Horace, aura moins d'égard pour
le texte de Moïse, de David et d'Isaïe. Souvent même il
n'a qu'une notion très imparfaite de ces effrayants modèles
qu'il lit superficiellement dans la Vulgate ou dans une traduction française.
Le plus sûr serait de consulter à la fois le texte hébreu,
la version des Septante, et la Vulgate. Celle-ci, quoique consacrée
par l'usage et par le jugement de l'Eglise, en conservant fidèlement
le dépôt des pensées, n'a pas toujours rendu avec la
même vérité la force des expressions ni la beauté
des images.
Qu'on ne s'imagine pas connaître toutes les
richesses poétiques de l'Ecriture, si on n'en juge que par la traduction
latine. Il en est beaucoup resté dans l'original. Par exemple, et
ce trait-ci, je le rapporte entre une infinité d'autres qu'on pourrait
choisir au hasard, on lit ainsi dans la Vulgate le huitième verset
du Psaume CXXXVIII. 'Si sumpsero pennas meas diluculo, et habitavero
in extremis maris': 'Si je prends mes ailes au point du jour, et si
je vais habiter aux extrémités de la mer'. L'hébreu
dit: 'Je prendrai les ailes de l'aurore, etc. ...' ce que j'ai tâché
d'exprimer par ces quatre vers:
Quand des ailes de l'aurore
J'emprunterais le secours,
Et qu'aux mers du peuple maure
J'irais terminer mon cours.
Dans la version latine, le psalmiste traverse les flots avec ses propres
ailes; dans l'Hébreu, il prend celles de l'aurore. Cette dernière
image a bien plus de hardiesse et de rapidité. Que de sentiment
et de douceur dans ce 'point du jour' (Note 1) personnifié,
dans cette 'étoile du matin' dont on emprunte les ailes! L'imagination
s'allume à la vue de pareils objets; l'esprit le moins vif s'échauffe;
le plus stérile devient fécond (Texte
11).
C'est donc se ménager des ressources pour
l'invention de détail et pour la poésie du style, que d'étudier
dans leur propre langue les écrivains sacrés qu'on essaie
de traduire en vers. Il faut pouvoir au moins (Texte
12) les lire dans la version des Septante. On y trouve l'original rendu
presque partout littéralement; de sorte que (Texte
13) la lecture en est peut-être plus agréable et plus
utile à quiconque voudra mettra en vers les psaumes, que la Vulgate
même, digne d'ailleurs de toute la confiance des fidèles et
de leur vénération. On sait de plus que la traduction des
psaumes reçue par le Concile de Trente, n'est autre chose, à
quelques différences près, que l'ancienne Vulgate, faite
originairement sur la version Grecque, et corrigée depuis par saint
Jérôme.
On comprend par là que la poésie sacrée
est un objet grave et important qu'on aurait tort de confondre avec la
poésie ordinaire. Outre le respect dû aux saintes Ecritures,
qui faisait dire à l'Impératrice Irène, femme de l'Empereur
Alexis, princesse également belle et vertueuse (Note
2), 'qu'elle ne regardait jamais ces excellents ouvrages sans être
saisie d'une sainte horreur, et sans appréhender d'être accablée
par la gloire et par la majesté qui y brillent'; on doit apporter
dans ce genre de composition des études sérieuses, des recherches,
des connaissances de plus d'une espèce, et un travail assidu. Tout
cela devient nécessaire quand on se donne la liberté, pour
m'exprimer comme saint Jérôme, d'asservir la majesté
des livres divins aux lois mécaniques de la versification (Note
3).
Car enfin si la poésie profane n'est pas
elle-même un jeu; si elle demande au contraire, suivant un écrivain
bien respectable et bien judicieux, 'tout ce que l'esprit humain a de
plus fort, de plus sublime, de plus brillant, tout ce que la parole a de
plus expressif et de plus propre' (Note 4), que
n'exige point cette poésie pure et céleste qui répand
tant d'éclat dans les Cantiques de Moïse et de David! Or, c'est
une vérité constante, que les écrits des grands poètes
ne sont rien moins que des productions vaines et futiles (Note
5). Ne jugeons pas de la poésie par des exemples modernes. 'Pour
en connaître le véritable caractère', ajoute le
même M. Fleury qu'on n'accusera pas de favoriser les goûts
frivoles ni les paradoxes, 'il faut remonter jusqu'à Sophocle
et Homère. On verra une poésie très sérieuse
et très agréable tout ensemble, propre à former le
jugement pour la conduite de la vie, et pleine des instructions les plus
nécessaires à ceux pour qui elle était faite; c'est-à-dire,
de leur religion et de l'histoire de leur pays'. Ainsi les poèmes
tirés des livres divins réunissent du côté de
l'art tous les avantages de la poésie en général,
et les relèvent encore par l'infinie prééminence du
sujet. A quels efforts, à quels soins ne s'oblige-t-on pas quand
on entreprend de pareils ouvrages!
Saint Grégoire de Nazianze, grand poète
et grand saint, qui se livra tout entier à la poésie dans
sa dernière retraite, disait que cet exercice était pour
lui un travail de pénitence, 'la composition en vers étant
toujours plus difficile qu'en prose'. On lit avec plaisir dans l'Histoire
Ecclésiastique, que cet homme vénérable, ne pouvant
plus remédier aux malheurs de son siècle, s'en consolait
dans son jardin, au bord de sa fontaine, à l'ombre de ses arbres,
par la satisfaction de sentir Dieu et de faire des vers qui lui contaient
d'ailleurs beaucoup de peine et d'application.
Dieu a lui-même inspiré la poésie
aux hommes. Il a voulu que pour célébrer ses grandeurs, sa
puissance, ses miséricordes, sa bonté, que pour exprimer
sa colère et son indignation, on se servît d'un langage figuré,
hardi, mélodieux, assujetti à des mesures sonores et cadencées
qui le distinguassent de la marche unie du discours ordinaire et commun.
Il a dicté des vers à Moïse, à David, aux Prophètes,
et même au malheureux Job, suivant Saint Jérôme. Un
art dont l'origine remonte au souverain Créateur est le plus beau
des arts (Texte 14). L'abus qu'en ont fait l'idolâtrie,
le libertinage et l'impiété ne déshonore que les profanateurs
de cette invention sublime. C'est la ramener à sa destination primitive,
que de la consacrer à des objets instructifs ou édifiants.
Quelque imparfaites que soient donc à certains égards les
poésies sacrées, on doit toujours applaudir à l'intention
des auteurs. Ceux qui réussissent le plus médiocrement dans
ce genre n'ont pas du moins à se reprocher d'avoir insulté
les moeurs ni la religion. Quoi qu'en disent les plaisants du siècle,
il vaut mieux encore ennuyer un peu son prochain que de lui gâter
le coeur ou l'esprit (Texte 15).
Je sais qu'une telle Texte16
doctrine aura peu de sectateurs. Elle eût été supportable
du temps de nos pères. C'étaient de bonnes gens qui croyaient
de vieilles vérités, et qui ne marchaient pas comme nous
à pas de géants dans le pays des découvertes. Ils
rêvaient des mots, nous pensons des choses. Les fictions des hommes
ne nous en imposent plus. C'est aujourd'hui le siècle de la philosophie;
tout est à présent philosophe; expliquons-nous: tout prétend
l'être. Notre prose et nos vers retentissent de ces grands mots,
philosophie, sagesse, vérité, vertu. On dissipe nos préjugés;
on éclaire nos esprits. Quelle lumière affreuse, ou plutôt,
quelles ténèbres! Pour allumer le flambeau de la philosophie,
on éteint celui de la foi. La religion naturelle est l'unique religion
des honnêtes gens du monde. Le déisme a levé le masque;
il paraît à découvert dans des livres accrédités.
Physicien, naturaliste, astronome, métaphysicien, géomètre
et moraliste, chacun dans son district, s'érige un tribunal suprême,
où il examine, apprécie, calcule, pèse des causes
qu'il ne voit point, des effets qu'il ne voit qu'à demi. Les opérations
mystérieuses de la Divinité sont mesurées le compas
à la main. On discute les livres divins comme une question de physique,
ou comme un point d'histoire (Note 6). Moïse
n'est pas mieux traité que Descartes. Physiciens de mauvaise foi
dont les expériences sur le même fait sont détruites
par des expériences contraires; philosophes aveugles, artistes impuissants
qui ne sauraient concevoir la prévoyance ni l'industrie de la fourmi
(Texte
18), imiter le nid d'un oiseau, et qui veulent soumettre à des
observations incertaines, à des chimères métaphysiques,
celui même qui leur donna la faculté de penser et de raisonner.
Je dirai plus, et je ne craindrai pas de déplaire
à ces puissants génies arrivés de nos jours sur la
Terre pour l'éclairer; un incrédule est nécessairement
un très mauvais logicien. Je suppose pour un moment que ce soit
un philosophe. Accoutumé non seulement à tirer des conséquences
et à former une chaîne de raisonnements qui dérivent
d'un principe connu, mais encore à s'élever de conséquence
en conséquence à des principes cachés, s'il oublie
sa méthode dans une matière bien plus digne de ses méditations
que la philosophie profane; et si d'une vérité incontestable,
telle que l'existence d'un Etre infini, il ne descend pas par une suite
d'arguments naturels qui naissent l'un de l'autre aux vérités
et aux pratiques de la religion, ce n'est plus qu'un esprit faux, qu'un
sophiste dangereux qui abandonne volontairement les règles fondamentales
de son art.
Un des plus beaux génies de l'univers, si
l'on peut donner à un saint des louanges purement humaines, l'apôtre
des nations disait aux Romains moins en prédicateur de l'Evangile
qu'en philosophe sensé, en dialecticien très exact: 'Les
grandeurs invisibles de Dieu deviennent en quelque façon visibles
dans les choses qu'il a créées et qui sont sous nos yeux
depuis le commencement du monde'
(Note 7). Ce
qui rend inexcusables les idolâtres mêmes justifiera-t-il des
Chrétiens? Déplorons une science qui n'est qu'erreur, une
sagesse qui n'est que folie (Note 8).
Mon dessein n'est point de faire ici l'apologie
de la religion. Mais j'ai cru que dans les circonstances présentes,
où l'incrédulité armée des écrits de
tant de savants et de gens de lettres, lui livre de toutes parts des assauts
trop peu réprimes, je devais à moi-même, à la
profession d'homme de lettres que je fais gloire d'allier avec des occupations
plus importantes, à un art dont je n'ai point le malheur d'abuser,
si j'ai celui de n'y pas réussir, une réclamation publique
contre des opinions funestes dont on accuse aujourd'hui la philosophie,
la poésie et la littérature de favoriser ouvertement le progrès.
C'est aux pasteurs chargés de l'instruction des âmes, c'est
aux pontifes conservateurs des vérités révélées,
à veiller nuit et jour autour de ce précieux dépôt,
à élever leur voix aux approches de l'ennemi, à le
combattre, à le foudroyer. N'en doutons point: les dignes chefs
de 1'Eglise Gallicane, de cette Eglise auguste où la foi et la discipline
se conservent dans toute leur pureté depuis plus de quinze siècles,
opposeront une digue au torrent qui se déborde. Ils guériront
les plaies récentes de la Religion. L'erreur et l'impiété
confondues n'auront plus l'audace de prononcer des arrêts sur les
droits imprescriptibles du Sacerdoce et de l'Empire.
Tel est sûrement le voeu (Texte
19) des personnes qui ont à coeur la conservation de la Foi,
les intérêts de la religion et le culte des autels. C'est
pour elles particulièrement que j'ai composé les poésies
de ce recueil, et c'est à elles surtout que je dois rendre compte
du système et de la conduite de mon travail.
L'Ecriture en général ne saurait être
traduite intelligiblement sans additions ni périphrases. Pour rendre
le sens, il faut suppléer à la lettre. Les versions les plus
estimées, comme celle du Père de Carrières, portent
dans le texte même des explications qu'on y a insérées
pour éclaircir les endroits obscurs, ou pour remplacer les expressions
sous-entendues. Le plus grand nombre des versets est rempli de cette espèce
de commentaire qui allonge considérablement l'original. Bien loin
de s'en plaindre, on en a reconnu l'utilité. S'il est permis d'en
user ainsi dans les traductions en prose, la liberté doit être
encore plus grande dans les traductions en vers; et si l'on admet la périphrase
ou le supplément dans les livres de l'Ecriture dont l'intelligence
est moins difficile, tels que le Pentateuque et tous les livres historiques,
on approuvera bien davantage ces sortes d'explications dans les Psaumes
et dans les Prophéties, dont le sens mystérieux, le langage
figuré, les expressions hardies et singulières n'offrent
partout qu'embarras et difficultés.
C'est traduire exactement et même avec précision
David ou Habacuc, que de donner à leurs pensées, très
claires en elles-mêmes, le degré de lumière qu'elles
auraient à nos yeux, si le langue humain dont se servaient ces interprètes
du Ciel, avait pu suivre la rapidité de l'Esprit divin qui les animait.
Cette inspiration qui n'était pas également impétueuse,
et qui avait plus ou moins de force, selon qu'il plaisait à Dieu
de l'augmenter ou de la modérer, remplissait tellement les Prophètes
et les écrivains inspirés, que les mots ne pouvaient dans
leur bouche marcher de front avec les choses, sans un désordre visible,
et sans des omissions fréquentes de plusieurs parties du discours.
On le remarque principalement dans les ouvrages de saint Paul; et c'est
à la véhémence de l'action surnaturelle qui entraînait
son coeur et sa plume, qu'on doit attribuer ces lieux difficiles à
entendre dont parle saint Pierre (Note 9).
Ces effets n'ont rien d'extraordinaire, la cause
une fois connue. Ce souffle intérieur, mais étranger, fait
nécessairement quelque violence à l'âme dont il s'empare.
Les Prophètes sentaient au-dedans d'eux-mêmes la direction
puissante de l'esprit de Dieu, de cette intelligence universelle qui leur
découvrait tout-à-coup l'avenir, et les portait à
le révéler aux autres, quoique cette émotion secrète
ne produisît rien au dehors qui blessât la décence et
la majesté de leur ministère. La sainte agitation d'un homme
inspiré est admirablement exprimée dans Athalie.
Mais d'où vient que mon coeur frémit d'un saint effroi?
Est-ce l'Esprit divin qui s'empare de moi?
C'est lui-même; il m'échauffe, il parle, mes yeux s'ouvrent,
Et les siècles obscurs devant moi se découvrent.
Lévites, de vos sons prêtez-moi les accords,
Et de ses mouvements secondez les transports.
Les faux prophètes étaient de vrais énergumènes.
Ces victimes infortunées du démon, qui, sous le nom de prêtres
ou de sibylles, publiaient autrefois les oracles du mensonge, n'attiraient
les respects et la crédulité des hommes, qu'autant que l'inspiration
prétendue divine agissait sur elles avec plus d'empire et de fureur.
Toute leur âme ne pouvait suffire au tyran infernal qui la possédait.
Elle faisait d'horribles efforts pour s'en débarrasser, en exprimant
par des paroles entrecoupées les réponses ambiguës que
lui dictait l'ange imposteur.
. . . . . .Magnum si pectore possit
Excussisse Deum (Note 10) . . . . . .
De là ces expressions équivoques, ces phrases imparfaites,
ces discours interrompus. L'ennemi du genre humain ne réussissait
à tromper les hommes qu'en contrefaisant la Divinité. Il
imitait à sa façon la manière énergique, abrégée,
souvent même énigmatique et concise dont s'énonçaient
les organes du Seigneur. Dans ceux-ci, les pensées, les images appartiennent
à la Divinité; le langage appartient à l'homme (Texte
20). Une traduction qui ne serait pas en même temps commentaire
et paraphrase deviendrait souvent inintelligible (Texte
21). Mais en donnant un peu d'étendue aux expressions concises
de l'Ecriture, j'ai partout respecté le sens. Il y a tant d'opposition,
tant de variété parmi les Interprètes (Texte
22) sur lasignification de certains passages, qu'il est impossible
de choisir une opinion, sans être combattu par les défenseurs
de l'opinion contraire. La seule chose qu'on puisse exiger raisonnablement
dans ce cas (Texte 23), d'un homme surtout qui n'est
pas théologien de profession, c'est qu'il ne suive que des guides
sûrs et orthodoxes; qu'il sacrifie ses propres conjectures (Texte
24); qu'il rejette les interprétations réprouvées,
et que sa version soit appuyée sur des autorités graves et
généralement reçues.
Je me flatte qu'on n'aura point de reproche à
me faire sur cet article important. On désapprouvera peut-être
(car tout est de rigueur dans une traduction d'ouvrages tirés de
1 Ecriture) que j'aie transporté d'un psaume à l'autre un
verset. Je veux si peu éluder la censure dans cette occasion, que
j'avertis ici mes lecteurs de l'espèce d'altération dont
on pourrait m'accuser. Ce verset transposé est le neuvième
du quatrième Psaume: 'in pace in idipsum dormiam et requiescam'.
Je l'ai placé dans l'ode tirée du Psaume septième,
et je l'ai mis avant je dernier verset. Il s'offrit à moi de lui-même
dans le feu (Texte 25) de la composition. Quand
la strophe fut faite, je ne pus me résoudre à le supprimer,
parce qu'il me sembla que c'était moins une addition à la
pensée du psalmiste, qu'une suite ou une paraphrase naturelle des
sentiments de confiance et de consolation qui succèdent dans son
âme à la tristesse et à la douleur. C'est cependant
une faute. Si elle n'est pas justifiée par l'aveu que j'en fais,
elle est au moins diminuée par l'attention extrême quej'ai
eue à n'y pas retomber.
Je défendrai avec plus de succès les
constructions que j'ai hasardées dans quelques endroits. L'exemple
des interprètes grecs et latins m'a inspiré de la hardiesse.
Souvent ils abandonnent les règles extérieures de la grammaire
pour s'attacher à la force du sens. Je dis les règles extérieures,
lesquelles ne consistent que dans le rapport des mots entre eux; car la
grammaire considérée comme elle doit l'être, a des
principes généraux (Texte 26) et philosophiques,
d'où dépend l'accord de nos pensées avec les signes
institués arbitrairement pour les exprimer; en sorte que l'art de
parler tient si essentiellement à l'art de raisonner, que ces facultés
ne sauraient être séparées sans nuire autant au philosophe
qu'au poète et à l'orateur. Les constructions dont je parle,
qui seraient d'ailleurs très déplacées dans le discours
en prose, ne blessent point, ce semble, le concert régulier, quoique
extérieurement interrompu, de la pensée avec l'expression.
J'ai écrit dans la seconde cantique de Moïse:
Il le disait; et leurs blasphèmes
Sont étouffés au sein des flots.
Dieu fait retomber sur eux-mêmes
L'audace de leurs vains complots.
Le couplet précédent commence par ce vers:
Notre ennemi disait: Je poursuivrai ma proie...
C'est un Egyptien qui parle au nom de toute la nation. Le discours a plus
de force dans la bouche d'un seul. L'image au contraire est plus forte
quand elle représente un peuple entier. L'interlocuteur menace les
Israélites de la part des Egyptiens, et ceux-ci sont engloutis.
On prend le nombre collectif pour peindre cet événement terrible:
Il le disait; et leurs blasphèmes
Sont étouffés au sein des flots.
La poésie y gagne, la grammaire n'y perd rien.
Je pourrais de plus autoriser cette licence poétique par un grand
nombre de citations hébraïques dont l'étalage m'a paru
inutile. On remarque dans le texte sacré des assemblages plus bizarres
et plus choquants en apparence, du singulier avec le pluriel. Et qu'on
ne dise pas que ce sont là des tours propres et particuliers a l'hébreu,
qui s accordent mal avec le caractère et le génie de la langue
française. Cette incompatibilité disparaît dans la
poésie. Un des plus sûrs moyens d'ennoblir le langage, et
de le rendre poétique, c'est d'emprunter non seulement les expressions,
mais encore les idiotismes des autres langues. Tel est le sentiment d'un
Anglais, dont tous les écrits sont marqués au coin de la
plus saine philosophie (Texte 27)(Note
11). Another way of raising the language, and giving it a poetical
turn, is to make use of the idioms of other tongues. Milton, qui savait
bien qu'Horace et Virgile ont rempli leurs poèmes d'hellénismes,
n'a pas craint d'employer quelquefois des hébraïsmes dans le
sien.
Il n'est pas étonnant que des Poètes chrétiens
enrichissent leurs ouvrages des tours et des expressions de la Bible, puisque,
selon l'opinion de quelques savants, Homère et les anciens Grecs ont eu
connaissance des Livres Saints, et en ont imité plusieurs endroits. Il
est sûr au moins qu'on aperçoit une grande conformité entre
la manière d'écrire de ce poète et celle des auteurs sacrés.
On voit, par exemple dans Homère et dans Moïse, des formes de discours
et des répétitions qui sont tout à fait semblables (Texte
28). Dans l'Exode: 'Allez trouver Pharaon, et dites-lui: Voici ce que dit
le Seigneur, le Dieu des Hébreux. Laissez aller mon peuple, afin qu'il
m'offre des sacrifices. Que si vous refusez de m'obéir, etc. ...' Moïse
se présente au roi d'Egypte, et lui adresse la parole dans les mêmes
termes. 'Voici ce que dit le Seigneur, le Dieu des Hébreux: Laissez
aller mon peuple, etc. ...' Dans le second Livre de l'Iliade, Jupiter appelle
un songe, et lui dit d'aller au camp des Grecs et dans la tente d'Agamemnon. 'Ordonne-1ui
d'armer tous ses soldats. C'est à présent qu'il peut prendre la
ville de Troie; car les Dieux ne sont plus divisés, Junon les a réunis'.
Le songe part, il arrive chez l'aîné des Atrides, l'éveille,
et après quelques reproches, il lui dit: 'Jupiter vous ordonne d'armer
tous vos soldats. C'est à présent que vous pouvez prendre la ville
de Troie; car les Dieux ne sont plus divisés, Junon les a réunis'
(Texte 29). Voici encore une expression qu'on lit dans
l'Ecriture, et qui est souvent répétée dans l'Iliade. 'Dixitque
alter ad proximum suum.' Genes. XI, 3,. Ce qui signifie
dans Homère, comme dans Moïse,'Et ils se disaient l'un à
l'autre' (Texte 30): Le, qui reparaît
plusieurs fois (Texte 31) dans l'Iliade et dans l'Odyssée,
ressemble beaucoup à cette façon de s'exprimer du chapitre huitième
de la Genèse, 'Et le Seigneur dit à son coeur'. Je rends
le texte hébreu; la Vulgate a traduit simplement, 'Et le Seigneur dit'.
Ajoutons avec d'habiles commentateurs qui l'ont
déjà observé, que le Législateur des Juifs
et le père de la poésie grecque sont encore conformes dans
la description des sacrifices. Abraham, ayant pris tous les animaux que
le Seigneur lui avait indiqués, 'les coupa par la moitié,
et mit séparément vis-à-vis l'une de l'autre, les
parties qu'il avait coupées'. L'Iliade et l'Odyssée nous
apprennent que les sacrificateurs 'coupaient les quartiers, les couvraient
de graisse, et les partageant en deux, les mettaient sur l'autel'.
Ces ressemblances fréquentes qui portent sur le style, sur la narration
et sur le fond des choses, autorisent les conjectures de ceux qui croient
qu'Homère a connu les écrits de Moïse. Je n'en dirai
pas davantage sur un point qui serait susceptible de discussions et de
preuves plus étendues.
De ces observations générales, je
passe à des réflexions particulières sur chaque livre
de ce recueil.
DES PSAUMES
Cette portion inestimable de l'Ecriture est au-dessus
des éloges. L'âme y trouve tous les sentiments qui lui sont
nécessaires pour vivre en paix avec elle-même, avec les hommes
et avec Dieu; toutes les ressources dont elle a besoin dans l'infortune
et dans l'oppression. A côté de la menace et des châtiments
marchent toujours l'espérance, les consolations, (Texte
32) les faveurs. L'imagination même y est flattée par
le spectacle enchanteur des beautés et des richesses de la nature,
par des comparaisons riantes, par des objets doux et gracieux. Les nations
infidèles sont, comme nous, si frappées de l'excellence de
ces poèmes divins, qu'elles en ont des versions dans leurs langues.
Le docte Spon parle, dans ses voyages, d'une traduction de plusieurs Psaumes
en vers Turcs, composés par un renégat Polonais nommé
Halybeg.
On découvre dans un monument de l'antiquité
grecque des vestiges bien marqués de l'usage que Solon lui-même
avait fait d'un Psaume. Eusèbe de Césarée et Clément
d'Alexandrie attestent que ce législateur des Athéniens connaissait
les Juifs. Curieux de tout ce qui concernait les différentes religions,
il se fit sans doute expliquer les Psaumes de David. J'en apporte pour
preuve l'imitation dont je parle, que d'autres ont observée avant
moi. C'est une formule d'imprécation contre les violateurs de la
consécration solennelle du Champ Cirrhéen. Ce décret
si terrible des Amphictyons se lit tout entier dans la harangue d'Eschine
contre Ctésiphon et Démosthène. On ne sera point fâché
de confronter cette malédiction épouvantable avec les versets
du Psaume 108 qu'il semble que Solon ait eus en vue.
IMPRECATION CONTENUE DANS LE PSAUME 108 IMPRECATION
DES AMPHICTYONS
Quand on le jugera, qu'il soit condamné, et que ce qu'il dira
Qu'il soit toujours vaincu en guerre et en jugement.
pour sa défense lui soit imputé à crime.
Que ses enfants meurent avant l'âge: que sa postérité
finisse Qu'il périsse misérablement
lui, sa maison, et toute sa postérité. dans une seule
génération...
Que ses iniquités soient toujours présentes aux yeux du
Qu'il offre en vain des sacrifices à Apollon, à Diane, à
Latone, Seigneur, et que sa mémoire périsse à jamais.
à Minerve, et que ces divinités rejettent à jamais
ses offrandes.
Nous avons plusieurs traductions des Psaumes en vers latins.
On connaît, entre autres, celle de Mathieu Toscan, qui est médiocre,
et celle de Buchanan qui est excellente pour la beauté du langage
et de la versification, mais fort inférieure pour la force et pour
l'énergie à la version grecque du père Petau. Je ne
pardonne point à Buchanan de commencer presque tous ses Psaumes
par de longues périodes qui énervent l'original (Texte
33). Il ne connaît point ces débuts fiers et audacieux
qui étonnent le lecteur, et qu'il est si facile (Texte
34) de conserver en traduisant littéralement l'Hébreu
ou la Vulgate. Dixit insipiens: l'impie a dit: Exurgat Deus:
Dieu se lève. Comparons dans un de ces deux Psaumes le Protestant
et le jésuite.
Dixit insipiens in corde suo: non est Deus. (Psalm.
13.)
Secum insania callidè
Indulgens vitiis sic loquitur; Deum
Formido sibi credula
Commenta est hominum, quum temario
Casu sors ferat omnia.
Le père Petau a dit en un seul vers digne d'Homère:
.
Il en est de même de tous les commencements de Psaume dans la paraphrase
latine et dans la traduction grecque. Qui croirait que cette dernière,
comparable peut-être pour le tour et l'harmonie de la versification,
aux meilleures poésies des anciens Grecs, n'a été
néanmoins que le délassement de son auteur, qui n'avait d'autre
Parnasse pour la composition de ces magnifiques vers, que les allées
et les escaliers du Collège de Clermont quand il descendait à
l'Eglise ou au réfectoire! Mais cette traduction si supérieurement
versifiée n'est pas exempte de défauts. Elle pèche
au contraire par un endroit essentiel. On y chercherait en vain le genre
et le ton lyrique. Elle est toute en vers hexamètres et pentamètres,
en quoi le père Petau n'a point connu l'essence ni la construction
de l'Ode. C'est au moins manquer de goût, que de suivre toujours
la même mesure en traduisant des ouvrages de mouvements et de caractères
(Texte
35)très différents.
Il est assez inutile de faire mention des Odes sacrées
de Rousseau. Nous n'avons point dans notre langue de poésies plus
connues ni plus généralement admirées que celles-là.
Le peu de Cantiques spirituels que nous a laissés
l'incomparable Racine m'a toujours fait regretter qu'il n'en ait pas composé
un plus grand nombre. Ils sont aussi bien écrits que ses tragédies.
Je ne vois rien dans Rousseau qui, pour le sentiment, la douceur et la
noblesse, égale les Cantiques sur la charité et sur les vaines
occupations des gens du siècle, ainsi que les choeurs (Texte
36) d'Esther et d'Athalie.
Le digne fils de ce grand homme a parfaitement réussi
dans les psaumes qu'il a mis en vers, et dans ses Odes chrétiennes.
Sa Muse inviolablement consacrée à la Religion, a mérité
les éloges du Souverain Pontife qui occupait dans le temps le trône
de saint Pierre (Texte 37).
D'autres écrivains modernes ont aussi fait
des odes sacrées fort estimables; mais ce sont des pièces
détachées qui ne forment pas de suite. La plus nombreuse
après celles de MM. Rousseau et Racine, est due à M. de Bologne.
Il y a de l'élégance et de l'harmonie dans ses vers. Son
recueil, qui n'est pas long, a été reçu avec applaudissement
(Texte 38). Dans ce siècle, le Noble a traduit
en vers le livre entier des Psaumes. Ce sont là de ces poésies
dont on ne dit rien. L'antique version de Racan ne vaut guère mieux.
Celle de M. Godeau, Evêque de Vence, n'est pas sans beautés.
Quoique le style de cet auteur soit en général lâche
et diffus, sa versification a cependant de la noblesse et de la douceur.
L'Abbé Desfontaines a trop bien servi la République
(Texte
39) des Lettres, il a composé de trop bons ouvrages pour que
nous reprochions à sa mémoire l'extrême médiocrité
de la traduction en vers d'un assez grand nombre de psaumes qu'il fit imprimer
à Rouen peu de temps après avoir quitté la Compagnie
de Jésus.
DES CANTIQUES
C'est ici le triomphe de la poésie. Les Pères
de l'Eglise et d'anciens Docteurs avaient une si haute idée de la
plupart des cantiques contenus dans les Livres Saints, que plusieurs ont
cru que ces poèmes merveilleux étaient plus particulièrement
inspirés aux écrivains sacrés que le reste de l'Ecriture.
Nous lisons dans une dissertation attribuée à Saint Augustin
que le cantique d'action de grâces chanté par les Israélites,
après le passage de la Mer Rouge, leur avait été dicté
à tous en même temps, par une inspiration particulière
de Dieu; ce qui arriva d'une manière si surnaturelle et si prompte,
que dans un instant les vieillards, les femmes, les enfants, les tribus
entières ne formèrent qu'un seul choeur, et pour ainsi dire,
qu'une seule voix, sans la moindre différence dans les mots, sans
aucune dissonance dans le chant. Le Seigneur avait été leur
guide dans les flots; il voulut être le Coryphée de leurs
concerts (Note 12).
Les cantiques sont de véritables poèmes,
non seulement par (Texte 40) la magnificence des
images, par la pompe et par la force des expressions, mais encore par le
mécanisme d'une construction méthodique, puisqu'ils sont
versifiés, suivant le témoignage uniforme des plus savants
hommes de l'antiquité. Joseph, Juif de naissance, saint Jérôme,
qui étudia la langue hébraïque avec cette conception
vive et pénétrante qu'on admirait en lui, et d'ailleurs avec
plus de secours que n'en ont eu pour la même étude Scaliger
et Augustin d'Eugubio, ses adversaires sur ce point de critique, Origènes
et Eusèbe, assurent unanimement que les cantiques de Moïse
sont écrits en vers. Qu'ils le soient en vers héroïques,
comme l'affirme Joseph; que celui du Deutéronome soit en vers hexamètres
et pentamètres, comme le veut saint Jérôme (Texte
41); que les Psaumes aient été composés en vers
lyriques, tels que ceux des odes de Pindare et d'Horace; c'est sur quoi
sans doute l'on ne peut avoir que des notions très imparfaites.
Les personnes curieuses de ces discussions conjecturales les trouveront
rassemblées dans la dissertation de Dom Calmet sur la poésie
des Hébreux.
Ce qui doit passer pour certain, c'est qu'à
la poésie libre et naturelle, consistant uniquement dans les métaphores,
les figures, les comparaisons, et qui n'appartient pas moins à la
prose qu'au discours versifié, les auteurs des Cantiques ont ajouté
l'assemblage artificiel des mots. Je croirai tant qu'on voudra, que cet
assemblage est varié à l'infini, qu'il n'est point soumis
à une mesure particulière, ni gêné par la répétition
du même ordre de pieds ou de cadences. Mais si l'on avoue que ces
morceaux ont été faits pour être mis en musique et
chantés, on ne saurait disconvenir qu'il n'ait fallu pour les plier
avec plus de grâce aux différentes modulations du chant, un
mélange de brèves et de longues arrangées avec plus
d'art et de symétrie que dans la prose. Et c'est précisément
ce qu'on appelle des vers. Un vers ou une ligne, suivant la dénomination
très juste des Anglais, n'est en effet qu'une ligne d'une certaine
étendue, séparée des autres vers ou lignes par des
repos plus ou moins marqués. Toutes les nations modernes, et plusieurs
d'entre les anciennes, ont distingué ces repos par des rimes. Il
y a certainement de l'harmonie dans ce retour des mêmes sons, et
la musique vocale s'en accommode beaucoup.
Ceux qui soutiennent contre les autorités
respectables dont j'ai fait mention, qu'il ne paraît dans les Cantiques,
dans les Psaumes, ni dans les livres de l'Ecriture que l'on croit écrits
en vers, aucune trace de versification, reconnaissent pourtant qu'il s'y
trouve quelquefois des rimes, et qu'elles y sont amenées pour flatter
l'oreille et pur favoriser le chant. Voilà d'abord un aveu très
avantageux pour le sentiment opposé. La rime suppose une espèce
de contrainte dans la composition. Cette dépendance, quelque légère
qu'elle soit, exclut la liberté qui caractérise la prose.
Qu'importe que tous ces vers soient différents entre eux pour la
mesure, et qu'ils ne ressemblent pas même à ceux dont on connaît
la construction? Ce n'en sont pas moins des vers. Il suffit pour cela qu'on
les ait détachés l'un de l'autre d'une manière sensible,
qu'ils soient formés de mots distribués artistement, et qu'on
y démêle une harmonie régulière (Texte
42), et même des licences poétiques. Pour s'en convaincre,
on n'a qu'à lire l'analyse grammaticale du premier Cantique de Moïse,
par Dom Guarin, tome II de sa Grammaire Hébraïque et Caldaïque.
Prendre avantage de ce qu'on ne distingue aujourd'hui dans les textes sacrés,
ni vers hexamètre, ni vers iambe, ni vers alcaïque, n'est qu'une
vaine subtilité pour éluder la force des preuves qui concourent
à établir que les Cantiques sont versifiés. Celui
qui fit chanter par les Israélites sur le bord de la Mer Rouge,
offre çà et là des fragments de vers (Texte
43) assez semblables aux pentamètres grecs et latins.
Quoi qu'il en soit, ces morceaux sont au moins extrêmement
poétiques, et tout à fait propres à être mis
en vers. Je suis surpris que Rousseau les ait négligés. Il
n'a fait usage que du Cantique d'Ezéchias, qu'on serait téméraire
de vouloir traduire après lui. M. Godeau a longuement paraphrasé
celui des trois compagnons de Daniel. Cette paraphrase lui valut l'évêché
de Grasse. La récompense surpassait de beaucoup l'ouvrage; mais
c'était le Cardinal de Richelieu qui récompensait. Ce Poème,
qui porte l'empreinte des poésies de ce temps-là, et qui
n'est rempli que de 'fleurs d'or sur le ciel étalées', de
'miracles roulants', et de 'vivants écueils', a malgré ses
défauts le mérite peu commun du nombre et de l'harmonie.
On y admire les six vers suivants:
Qu'on te bénisse dans les Cieux
Où ta gloire éblouit les yeux,
Où tes beautés n'ont point de voiles;
Où l'on voit ce que nous croyons,
Où tu marches sur les étoiles,
Et d'où jusqu'aux enfers tu lances tes rayons.
Ce vers: 'où l'on voit ce que nous croyons', est sublime.
Le même auteur a distribué en églogues le Cantique
des Cantiques. C'est dommage qu'il n'y ait pas mieux réussi; son
idée était ingénieuse et naturelle. Les descriptions
champêtres, les images printanières qui font le charme de
ce poème mystérieux, que tout le monde ne doit pas lire,
conviennent particulièrement au genre pastoral.
Nous avons deux paraphrases de ce même cantique,
faites par le moine Willeram, abbé de Mersbourg, l'une en vers latins,
et l'autre en langue tudesque ou théodisque, qui était celle
des anciens Francs (Note 13). Pour la première,
elle est écrite en vers du onzième siècle; c'est tout
dire. La seconde est en prose. Dès la fin du neuvième siècle,
le moine Otfride avait traduit en vers tudesques rimés une partie
des quatre Evangiles. C'est dans ce vieux langage allemand qu'étaient
composés ces poèmes que l'on chantait encore du temps de
Charlemagne, et que ce prince savait par coeur, tant il aimait le jargon
de ses ancêtres, sur lequel même il avait commencé une
grammaire. On croit aussi, et c'est le sentiment de Lambecius (Note
14), qu'Otfride est l'auteur d'une version tudesque des cantiques que
l'on chante à Laudes, suivant le bréviaire bénédictin,
du Benedictus, et du Magnificat, trouvée à
Innsbruck en 1665, dans un manuscrit inconnu jusqu'alors. Il ne fallait
pas moins que les beautés surnaturelles d'une poésie divine,
pour se soutenir au milieu des expressions d'une langue inculte et sauvage
que l'art ne pouvait manier ni adoucir (Note 15),
et qui par son excessive dureté, par la bizarrerie de sa prononciation,
blessait, il y a huit cents ans, l'oreille des Francs ou des Germains un
peu délicats. Mais les Cantiques de l'Ecriture se feraient remarquer
dans quelque langue et dans quelque traduction que ce fût. Homère
et Pindare auraient beaucoup à perdre dans une langue moins riche
et moins sonore que la leur. Moïse, Débora, Judith n'y perdraient
que des mots. Les traits ineffaçables de la Divinité perceraient
toujours les ténèbres d'une traduction informe et de l'idiome
le plus défectueux.
DES PROPHETIES
Quoique les prophètes n'aient point écrit
en vers comme David et Salomon, le style des Prophéties est cependant
aussi poétique en général que celui des Cantiques
et des Psaumes. On trouve même des Cantiques dans plusieurs Prophètes.
Isaïe en a fait trois; le premier sur la délivrance des deux
maisons d'Israël et de Juda, chap. XII; le second et le troisième
en actions de grâces au Seigneur pour la liberté de son peuple
et la punition des impies, chap. XXV et XXVI. Le troisième chapitre
d'Habacuc n'est autre chose qu'un cantique, et c'est sans contredit un
des plus remarquables de l'Ecriture.
Les Prophéties sont ce qu'il y a de plus
intéressant dans les Livres saints. Tous les mystères de
la Loi nouvelle y sont prédits. C'est l'histoire passée,
présente et future de la conduite du Seigneur. On n'y voit que des
oracles imposants, que des prodiges, que des événements mémorables
(Texte 44), que des châtiments de Rois, des
destructions de peuples, des renversements d'empires, des armées
d'insectes dévorants, des ravages, des mortalités, tous les
fléaux de la vengeance divine. Mais ces carnages terribles sont
toujours mêlées d'objets consolants. On y découvre
dans un beau lointain, l'exécution parfaite des promesses de Dieu,
l'avènement du Messie, la rédemption du genre humain, le
triomphe de la Jérusalem céleste, l'exaltation des justes,
le bonheur des élus. Considérons en même temps l'élévation
des pensées, la variété des peintures, l'énergie
des expressions, l'enthousiasme soutenu qui règne dans les Prophéties,
nous sentirons qu'il ne manqua à tout cela que la versification
pour être de véritables poèmes.
J'espère donc qu'on me saura gré d'avoir
montré le chemin (Texte 45) à ceux
qui voudront puiser dans les Prophètes de nouvelles richesses poétiques,
dont l'usage ignoré jusqu'à présent ne peut qu'honorer
le talent des vers, le sanctifier même, et le rendre précieux
à la religion. Avec quel plaisir, avec quel fruit ne lirait-on pas
des traductions qui ressembleraient à ce morceau!
Comment es-tu tombé des cieux,
Astre brillant, fils de l'aurore:
Puissant roi, prince audacieux,
La terre aujourd'hui te dévore.
Comment es-tu tombé des cieux,
Astre brillant, fils de l'aurore!
Dans ton coeur tu disais: à Dieu même pareil,
J'établirai mon trône au-dessus du soleil,
Et près de l'aquilon, sur la montagne sainte,
J'irai m'asseoir sans crainte;
A mes pieds trembleront les humains éperdus:
Tu le disais, et tu n'es plus.
Ce sont deux strophes d'une ode irrégulière de M. Racine
le fils, tirée d'Isaïe, ch. XIV (Texte 46).
Je me propose, si le public reçoit avec indulgence mes essais, de
faire à l'avenir d'amples moissons dans ce champ fertile et peu
fréquenté.
Le choix des Prophéties m'a longtemps causé
de l'embarras (Texte 47). Elles ont chacune dans
leur genre des ornements particuliers, des choses qui ne sont point ailleurs.
Il n'est point de chapitre dans Ezéchiel ni dans Isaïe, qu'on
ne soit tenté de traduire en vers. La Prophétie d'Abdias,
la moins étendue de toutes, et qui ne contient qu'un seul chapitre
(Texte 48), est frappante par sa singularité.
L'imagination d'Homère ni la fougue de Pindare n'ont point enfanté
d'idées qui approchent de celles-ci: 'l'orgueil de votre coeur
vous a élevés, parce que vous habitez dans les fentes des
rochers, et qu'ayant mis votre trône dans les lieux les plus hauts,
vous dites en vous même: Qui me fera tomber en terre? Quand vous
prendriez votre vol aussi haut que l'aigle, et que vous mettriez votre
nid parmi les astres, je vous arracherais de la, dit le Seigneur'.
Les pensées les plus brillantes des poètes profanes s'anéantissent
devant ces traits inimitables qu'un génie mortel ne saurait créer
sans le secours de l'inspiration divine.
Les beautés poétiques de Ecriture
sont toutes de la même perfection; et nous devons appliquer aux Livres
saints en général, ce que M. Bossuet dit des psaumes en particulier,
que la grandeur et l'élévation s'y réunissent avec
la douceur et le sentiment. Ce prélat à jamais célèbre,
qui a été lui-même le plus sublime et le plus éloquent
des hommes, a fait dans le chapitre second de sa préface latine
des Psaumes (Note 16) une analyse admirable de la
poésie de Moïse et de David. Cet examen littéraire est
plein de justesse et de sagacité (Texte 49).
Que les écrivains inspirés y paraissent grands! Qu'Homère
et Virgile y sont petits!
Ces deux poètes si justement renommés
comme auteurs profanes ne sauraient soutenir le parallèle avec l'Ecriture,
dans les endroits même où ils excellent. Je n'en veux pour
exemples (Texte 50) que ces peintures de combats
et de batailles qui jettent tant de chaleur et d'action dans leurs poèmes.
Sont-elles seulement comparables à la description que fait Joël
des insectes meurtriers dont il prédisait l'irruption (Note
17)? 'Ils sont précédés d'un feu dévorant,
et suivis d'une flamme qui brûle tout. La campagne, qu'ils ont trouvée
comme un jardin de délices, n'est après leur passage qu'un
désert affreux. . . A les voir, on les prendrait pour des chevaux.
Ils s'élancent comme une troupe de cavalerie. Ils sauteront sur
le sommet des montagnes avec un bruit semblable à celui des chariots,
et d'un feu qui dévore de la paille sèche'. Qu'il y a
de force et d'éclat dans ces images! Qu'elles sont vraies et terribles!
On voit ces animaux, on les touche, on entend le bruit aigu de leur vol.
Les sauterelles de Joël sont bien plus effrayantes que les bataillons
de Turnus et d'Ajax.
Je ne comprends pas pourquoi de très habiles
interprètes de la Bible ont voulu voir dans ces insectes les différents
peuples qui devaient successivement ravager les campagnes de Juda. Une
telle opinion affaiblit les merveilles du Seigneur, puisqu'elle attribue
(Texte
51) à des hommes ce qui a été exécuté
par de simples volatiles. On n'ignore pas d'ailleurs que des nations entières
ont été chassées de leur pays par des mouches, des
moucherons, des guêpes, des abeilles, des scorpions, des rats, des
fourmis et des tarentules. Bochart en fait un dénombrement dans
le quatrième livre de ses animaux sacrés. Ce qu'il tire des
auteurs profanes est fondé sur l'Ecriture. Les guêpes, les
frelons et les sauterelles sont des fléaux dont Dieu menace assez
souvent les hommes dans les Livres Saints. Il annonce à son peuple,
dans le chap. XXIlI de l'Exode, que pour lui faciliter la conquête
de la terre promise, il le fera précéder d'une armée
de frelons; 'et j'enverrai le frelon devant vous, et il chassera les
Hévéens, les Cananéens'.
En effet, rien ne prouve tant la puissance de Dieu
que les révolutions causées sur la terre par de méprisables
animaux. Il pourrait susciter contre les hommes des troupes d'éléphants,
de lions, de serpents monstrueux, et d'autres bêtes féroces
dont la vue seule inspire l'horreur et l'effroi. De vils reptiles, des
insectes ailés remplissent plus efficacement ses desseins, et nous
avertissent mieux de la faiblesse de nos forces. Quand Sapor, Roi de Perse,
assiégea Nisibe, Jacques, Evêque de cette ville, monta sur
une tour, et ayant aperçu la prodigieuse multitude d'ennemis qui
environnait les murailles, il pria Dieu d'envoyer contre eux des moucherons,
'afin que ces faibles animaux fissent connaître aux infidèles
la puissance et la grandeur de celui qui protégeait les Romains'
(Note
18). Sa prière fut pleinement exaucée. Certaines provinces
de la Chine sont quelquefois inondées de sauterelles. La description
qu'en fait un auteur du pays, se rapproche assez de celle qu'on lit dans
Joël; conformité qui m'a paru digne de remarque. 'Elles
couvrent le cie1; 1eurs ailes paraissent se tenir les unes aux autres.
Elles sont en si grand nombre qu'en levant les yeux on croit voir sur sa
tête de hautes et vertes montagnes. Le bruit qu'elles font en volant
approche de celui du tambour'. C'est ainsi que ces animaux sont dépeints
dans les Lettres édifiantes des missionnaires Jésuites, recueil
très estimable, très utile, non seulement à la religion,
qui est son principal objet, mais encore à l'histoire civile et
naturelle, à la géographie, à la médecine,
à i agriculture, et généralement à tous les
arts (Texte 52).
Dans les Prophéties, comme dans les Psaumes
et dans les Cantiques, j'ai employé des strophes alternatives; et
quelquefois, à l'imitation de Pindare, j'ai disposé les stances
trois à trois, dont les premières sont semblables entre elles,
et la troisième est d'une mesure différente. J'ai cru que
ce mélange symétrique de strophes inégales formerait
un contraste harmonieux, et que ces cadences ainsi diversifiées
ne convenaient pas mal au genre lyrique. Car si la poésie ressemble
à la peinture, elle doit aussi imiter la musique, dont le charme
consiste dans une mélodieuse variété de tons et d'accords.
DES HYMNES
L'usage des hymnes a commencé dans l'Eglise vers
la fin du quatrième siècle. Les premiers Chrétiens
ne chantaient que les Psaumes, soit dans leurs assemblées secrètes,
soit dans les temples du Seigneur. Mais ces divins poèmes n'étant
que prophétiques, il fallait quelque chose de plus pour la piété
des fidèles depuis l'entier accomplissement des mystères
de la nouvelle Alliance et la fondation de l'Eglise. Les miracles de Jésus-Christ,
sa passion et sa résurrection, les fêtes de sa bienheureuse
mère, la descente du Saint-Esprit, les apôtres, les martyrs,
les vierges méritaient bien d'être célébrés
par des chants particuliers. C'est ce que firent avec succès saint
Hilaire, saint Amboise, et surtout Prudence, 'qui a mérité
par ses vers d'être mis au rang des auteurs ecclésiastiques'
(Note 19).
Ce poète chrétien a composé
un recueil d'Hymnes. L'Eglise en a conservé quelques-unes. On les
trouve dans le bréviaire romain, mais fort abrégées,
et avec des changements notables. Ce fut le fruit de la conversion de Prudence.
Ses contemporains les estimaient
(Texte 53) infiniment.
Elles sont en effet fort belles pour le siècle où il vivait.
Les lettres avaient alors éprouvé tout ce qui annonce ordinairement
leur décadence et leur ruine. Le faux goût, les opinions bizarres,
le mépris des grands modèles s'étaient accrus des
préjugés de l'ignorance et de la barbarie. Les beaux arts
enfin se voyaient dans cet état déplorable où il n'y
a plus qu'un pas à faire de la chute à l'anéantissement.
Ils ne luttaient contre leur mauvaise fortune que dans quelques villes
gauloises, comme Toulouse, Bordeaux, Lyon, Autun, où l'on juge par
les orateurs qui s'y distinguaient, et qui nous ont laissé des panégyriques,
que les faibles restes de la saine et judicieuse littérature s'étaient
réfugiés. Il ne serait pas difficile de prouver que la corruption
du goût infecta la capitale avant les provinces, et qu'elle fut introduite
à Rome par le luxe, la mollesse, le dérèglement des
moeurs, et l'amour des nouveautés, toujours si funestes aux empires.
On pourrait se livrer là-dessus à bien des réflexions;
mais ce n'est point ici le lieu de s'y arrêter.
Plusieurs modernes ont écrit des hymnes en
vers latins. Il n'est pas permis de passer sous silence celles de Santeuil.
Jamais homme peut-être ne fut plus rempli que lui de ce qu'on appelle
verve poétique. Elle étincelle dans tous ses vers. Si les
admirateurs de Prudence, entre autres Sidoine Apollinaire, ont comparé
à Horace cet écrivain du quatrième siècle,
malgré la dureté de sa versification et de son style, que
n'eussent-ils pas dit des chef-d'oeuvres de Santeuil
(Texte
54)? On l'accuse de n'être pas assez pur, ni assez correct dans
sa latinité; je me figure que Cicéron et Virgile, s'ils revenaient
au monde, feraient le même reproche aux auteurs modernes qui passent
pour écrire le mieux en latin. Santeuil est plein de nerf et de
feu. Ses hymnes de la Vierge sont charmantes. Il y déploie toutes
les grâces de la poésie et les sentiments de la plus tendre
dévotion. Heureux si en l'imitant dans quelques endroits, j'avais
pu m'approprier son imagination et son génie!
Réduit à mon propre fonds dans cette
partie de mon travail, j'y ai employé, autant que les différents
sujets l'ont admis
(Texte 55), le langage et les
pensées des écrivains sacrés. J'ai emprunté
des Pères quelques idées grandes et sublimes qui convenaient
parfaitement aux matières que je traitais. Leurs ouvrages sont,
après l'Ecriture, le trésor le plus riche que nous connaissions.
Ces hommes, que Dieu avait suscités pour la propagation, la défense,
et l'affermissement de la foi prêchée par les Apôtres,
n'étaient pas précisément inspirés, mais ils
recevaient des secours si abondants de grâces et de lumière,
que leur doctrine et leur éloquence annoncent visiblement l'Esprit
divin qui les éclairait. Leurs écrits brillent souvent de
beautés d'un ordre surnaturel. Ce sont (Texte
56)d'excellents matériaux pour la poésie. Je les ai mis
en oeuvre; et si l'orgueil poétique ne m'abuse point, j'ose m'assurer
qu'on ne sera pas mécontent de ces odes d'une nouvelle espèce,
où je crois aussi qu'on apercevra de l'invention dans les détails.
Je souhaiterais que ce genre réussît
assez parmi nous pour engager nos bons poètes à le cultiver,
et nos habiles musiciens à y consacrer leurs chants. Les motets
de Lalande, de Campra, de Mondonville, charment les personnes même
qui ne savent pas le latin. Elles entendraient avec bien plus de plaisir
cette musique ravissante, si elle était sur des paroles françaises.
Il faudrait qu'en se proposant pour modèles les Psaumes et les Cantiques,
on rassemblât dans ces petits poèmes français tous
les caractères de la poésie. Je les voudrais agréables,
tendres et brillants pour les fêtes de la Vierge, pour la Nativité;
majestueux et sublimes pour la Résurrection, la descente du Saint-Esprit,
l'Ascension; lugubres, mais consolants, pour le jour des Morts; terribles
pour le jugement dernier; triomphants, remplis d'amour et d'allégresse
pour la fête de tous les saints. (Texte 57)
Une musique assortie à des odes travaillées dans ce goût
ferait vraisemblablement une sensation étonnante. Mes Hymnes ne
seront, si l'on veut, que des esquisses de ces grands tableaux; mais le
dessein en est bon; d'autres y mettront le coloris (Note
20) (Texte 58).
[DISCOURS PHILOSOPHIQUES]
Telle est l'idée générale que je
donnais au public de ces poésies lorsqu'elles parurent pour la première
fois. Elles sont considérablement augmentées dans cette nouvelle
édition. Quoique le goût du siècle ne favorise guère
des productions de cette espèce, je ne saurais me plaindre de l'accueil
qu'on a fait à celle-ci. Des journalistes également éclairés
et circonspects dans leurs jugements n'ont pas craint de lui présager
l'immortalité la plus flatteuse. On ne doit pourtant pas dissimuler
que l'objet de ces poésies fut d'abord un préjugé
contre elles. Des personnes, de très bon esprit d'ailleurs, furent
effrayées du titre, comme si ce n'eût été qu'un
livre de pure dévotion. Quand cela serait, je n'en rougirais pas.
Mais ce n'est point là du tout le caractère distinctif de
cet ouvrage. Consacré aux vérités éternelles
de la religion, il est propre encore, si je ne me trompe, à intéresser
les lecteurs même les moins religieux, par les différents
genres qu'il réunit.
J'ai de fortes preuves de ce que j'avance. Si je
publiais quelques lettres qui me furent écrites dans le temps au
sujet de ces poésies, tant de Paris que des pays étrangers,
on serait étonné de voir des personnes, malheureusement pour
elles, trop connues par leur indifférence en matière de religion,
parler de ce livre avec une force et une chaleur de sentiment qui marquaient
assez l'impression que sa lecture avait faite sur leur esprit.
C'est principalement pour cette sorte de lecteurs
que j'ai écrit les Discours Philosophiques, qui forment aujourd'hui
la cinquième division de ce recueil. Ils y apprendront que la vraie
philosophie n'avait pas attendu le dix-huitième siècle pour
se montrer aux hommes; qu'elle est née avec eux; qu'elle est l'ouvrage,
non de leurs vaines spéculations, mais de celui qui a imprimé
dans leur âme l'idée de la Divinité, le sentiment du
juste et de l'injuste, l'amour du bien, l'horreur du mal; en un mot, les
notions de première nécessité.
C'était peu de ces lumières primitives,
qui ont suffi cependant pour faire des Socrates, des Platons, des Cicérons
et tant d'autres philosophes païens, dont la doctrine sera la honte
éternelle des faux sages de nos jours. Il fallait à l'homme
une philosophie plus pure et plus sublime. Dieu lui en a donné un
abrégé parfait dans les Livres saints. Les divines Ecritures
sont le dépôt de toutes les vérités, de tous
les devoirs, de toutes les sciences, et de tous les arts. Quoi de plus
philosophique et de plus lumineux que les Livres Sapientiaux! Quoi de plus
instructif pour toutes les conditions de la vie! Quelle connaissance du
coeur humain et quels principes féconds de politique, de justice,
d'humanité, de morale, de droit public et particulier? Rois et sujets,
grands et petits, pères, femmes, enfants, hommes de tous les âges,
de toutes les professions et de tous les rangs, c'est de ce livre céleste
que nous vous dirons, comme à saint Augustin, 'prenez et lisez':
lisez la règle de votre conduite, et le précis de vos obligations.
Apprenez à commander, à obéir; à être
pauvres, à être riches; à ne point faire d'injures,
à les souffrir, à les pardonner. Apprenez à détester
le mensonge, la calomnie, la trahison, l'esprit de révolte et d'impiété;
à aimer vos semblables, à chérir les droits de la
nature; à respecter l'Etre suprême, les mystères qu'il
a révélés, le culte qu'il a établi. Et vous,
partisans des lettres, des sciences, et des arts, 'prenez et lisez'. C'est
là que vous trouverez le savoir et la modestie, les talents et la
raison, la philosophie et la vertu. D'autres disent sans cesse à
tout l'univers, nous sommes des philosophes. Et vous qui ne le dites pas,
vous serez plus philosophes qu'eux; ou plutôt vous seuls le serez,
parce que vous aurez fréquenté la seule école qui
fasse de vrais philosophes.
La philosophie n'est en effet que l'amour et la
pratique de la sagesse. Or, il n'y a que les livres philosophiques de l'Ecriture
où les devoirs du sage soient enseignés dans toute leur étendue
et dans toute leur pureté, sans contradiction de systèmes,
sans combat d'opinions, sans mélange de vérités et
d'erreurs.
Ces écrits divins ont de plus deux grands
avantages sur tout ce que nous avons de meilleur en fait de philosophie
profane; le premier, c'est qu'on n'y trouve aucune leçon de conduite,
aucun précepte de morale, qui, de l'aveu de tout homme sensé,
de quelque religion qu'il puisse être, ne soient incontestablement
vrais; le second, c'est qu'il n'y a pas une seule vérité
utile dans les ouvrages philosophiques anciens ou modernes les plus estimés,
qui ne soit contenue dans les Livres saints. Ils peuvent donc nous tenir
lieu de toute autre instruction en ce genre, et l'on aurait tort de chercher
ailleurs ce qu'ils nous offrent si abondamment et d'une manière
si parfaite.
De tous les temps il s'est échappé
des rayons de ce globe de lumière qui ont percé la nuit du
paganisme. Que cette communication se soit faite de proche en proche) ou
directement, ou par des voies détournées, il n'en est pas
moins certain que la doctrine de l'Ecriture a été connue
dans les écoles païennes. De savants Chrétiens des premiers
siècles n'en doutaient pas. C'était le sentiment de Minucius
Felix. 'Vous voyez, dit-il, comme les philosophes disent les
mêmes choses que nous. C'est pas que nous ayons suivi leurs traces;
mais c'est qu'ils ont puisé la vérité dans nos prophètes,
et qu'ils l'ont altérée' (Note 21).
Malheur aux discours dont
je rends compte ici au public, s'ils étaient dans ce cas; mais j'ose
croire qu'ils sont à l'abri de toute imputation de cette nature.
Je dois seulement prévenir le lecteur qu'ils n ont pas été
travaillés dans le même ordre ni sur le même plan que
les Psaumes, les Cantiques et les Prophéties. Là, je traduis
fidèlement ou j'imite avec exactitude l'original. Ici j'accommode
le texte aux sujets que j'ai choisis, sujets tirés néanmoins
des mêmes livres qui m'ont fourni les matériaux de l'ouvrage.
Pour cela j'ai pris dans différents chapitres tous les versets relatifs
au même objet. Je les ai liés ensemble; j'en ai développé
le sens et les preuves; je leur ai donné une juste étendue,
et j'en ai composé des discours détachés et indépendants
l'un de l'autre. C'est la forme que j'ai observée à l'égard
des Proverbes, parce que les matières y semblent mêlées
et confondues. Ce livre est un trésor de pensées. C'est le
traité de morale le plus profond et le plus complet qui soit entre
les mains des hommes.
L'Ecclésiaste paraît plus suivi. Tout
s'y rapporte à un seul principe général, que 'tout
est vanité sur la terre'; et à une seule conclusion,
qu'il n'y a de solide que 'la crainte de Dieu et l'observation de ses
commandements'. Je ne me suis point écarté de ce plan,
et j'ai gardé l'ordre des chapitres.
Je me flatte enfin qu'on m'approuvera d'avoir imaginé
des poèmes philosophiques d'un caractère nouveau. C'est un
essai susceptible de perfection; une route de plus ouverte à la
poésie. Nous avons aujourd'hui des poètes philosophes.
Leurs vers valent mieux que les miens; j'en suis persuadé. Mais
la philosophie de Salomon vaut certainement mieux que la leur, et c'est
celle-là que j'ai mise en vers.
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NOTES DU TEXTE ORIGINAL
Note 1 Le mot hébreu signifie également
Aurora, Lucifer, diluculum.
Note 2 Histoire de l'Empereur Alexis par Anne Comnène.
Traduction du Président Cousin.
Note 3 'Juvencus presbyter sub Constantino Domini
Salvatoris versibus explicavit, nec permituit evangelii majestatem sub
metri leges mittere'. Hier. lib. I, Epist. 58.
Note 4 M. Fleury du choix et de la conduite des
études.
Note 5 La poésie est plus sérieuse
et plus utile que le vulgaire ne le croit'. M. de Fénelon sur l'éloquence,
pag. 306.
Note 6 Voyez entre autres un ouvrage impie qui
a paru en France, dont la première partie traite 'du monde, de son
origine et de son antiquité'; et la seconde 'de l'âme et de
son immortalité' (Texte 17).
Note 7 'Invisibilia enim ipsius à creaturâ
mundi, per ea quae facta sunt intellecta conspiciuntur...' [1751 ajoute:
Ita ut sint inexcusabiles.] Paul. ad Rom. cap. 1, 20.
Note 8 'Evanuerunt in cogitationibus suis, et obscuratum
est insipiens cor eorum. Dicentes enim se esse sapientes, stulti facti
sunt'. Ibid.
Note 9 'In quibus sunt quaedam difficilia, quae
indocti et instabiles depravant, sicut et caeteras scripturas, ad suam
ipsorum perditionem'. Epist. 2, cap. 2.
Note 10 AEneïd. 6, v. 78.
Note 11 Spect. tom. 4, n. 285.
Note 12 'Et qui paulo ante in profundo coram eis
apparuerat, ipse postmodum in tali cantico eorum linguas et ingenia gubernabat'.
De mirabilib. Sacrae Scrip.
Note 13 'Frisica aut Francica'. Voyez une lettre
latine écrite par un anonyme à Paul Merula, éditeur
des deux paraphrases de Willeram et du commentaire allemand qui les accompagne.
Note 14 Histoire Littéraire de la France,
tome IV [1751: tom. V].
Note 15 'Hujus linguae barbaries ut est inculta
et indisciplinabilis, atque insueta capi regulari fraeno grammaticae artis,
sic etiam in mutis dictis, scripto est propter litterarum aut congeriem,
aut incongruam sonoritatem difficilis'. Otfride dans la préface
de sa traduction en vers tudesques des quatre Evangiles.
Note 16 Oeuvres de M. Bossuet, tom. I, 'de grandiloquentia
et suavitate Psalmorum.
Note 17 Joël, 2.
Note 18 Hist. de l'Eglise par Théodoret,
Liv. II, Chap. XXX.
Note 19 M. de Tillemont, d'après Gennade.
Note 20 Jusqu'ici c'est l'ancien Discours préliminaire
qu'on trouve à la tête des premières éditions.
Note 21 'Animadvertis Philosophos eadem disputare
quae diximus; non quod nos simus eorun vestigia subsecuti, sed quod illi
de divinis praedictionibus Prophetarum umbram interpolatae veritatis imitati
sint'. M. Minucii Felicis Octavius.
TEXTES: VARIANTES
Texte 1 Ces deux phrases remplacent la phrase suivante
de 1751:
Voici un recueil de poésies dont quelques-uns sont d'un genre
assez nouveau, et qui roulent toutes sur des objets dignes de láttention
du public.
Texte 2 1751: et sur la plupart des cantiques
répandus dans les différents livres de l'Ecriture Sainte
Texte 3 1751: les quatre livres
Texte 4 1751: d'intéresser l'âme
Texte 5 Cette phrase remplace la phrase suivante
de 1751: Ce même avantage devrait aussi caractériser les imitateurs
des poètes de l'Ancien Testament.
Texte 6 L'auteur supprime ce texte de 1751: je
parle ici non des critiques injustes de ses ennemis, mais des observations
de personnes d'ailleurs équitables et qui le regardent comme un
auteur dont les écrits ne périront qu'avec la poésie
française: on lui a, dis-je,
Texte 7 Le mot 'toujours' ne se trouve pas dans
1751.
Texte 8 Cette phrase remplace la suivante de 1751:
Je ne pense pourtant pas que cette accusation, supposé même
qu'il soit fondé, puisse porter la moindre atteinte à la
supériorité de son talent.
Texte 9 1751: 'enthousiasme' au lieu de 'emportement'
Texte 10 L'auteur supprime la phrase suivante
de 1751: Il était inspiré par un Maître dont les expressions
divines ne sauraient guère être égalées par
le faible langage des mortels.
Texte 11 L'auteur supprime cette fin de phrase
de 1751: que l'art des Zeuxis et des Raphaël n'offre rien aux yeux
de plus frappant, ni de plus animé.
Texte 12 1751: Il faut au moins pouvoir
Texte 13 1751: On y trouve l'original mot pour
mot, partout où elle ne s'éloigne pas de l'hébreu;
en sorte que
Texte 14 1751: un art infiniment précieux.
Texte 15 1751: n'ont pas du moins à s'imputer
d'avoir par leurs écrits étouffé dans de jeunes coeurs
les semences de la vertu ou les principes de la religion. Quoi qu'en disent
les plaisants du siècle, il vaut mieux ennuyer son prochain que
le corrompre ou le pervertir.
Texte 16 1751: une pareille doctrine
Texte 17 1751: un ouvrage qui a paru cette année
en France
Texte 18 1751: qui ne sauraient expliquer la
manoeuvre d'une fourmi
Texte 19 1751: Tels sont sûrement les voeux
Texte 20 1751: Dans ceux-ci les idées,
les sentiments, les images appartiennent à la Divinité; le
langage est tout mortel. Les premiers seraient toujours lumineux, s'ils
n'étaient quelquefois enveloppés dans les ténèbres
de l'autre. Une traduction...
Texte 21 1751: ...et paraphrase ne présenterait
aux lecteurs qu'un pompeux galimatias.
Texte 22 1751: Les interprètes sont si
fort partagés
Texte 23 1751: dans cette circonstance
Texte 24 1751: c'est qu'il ne donne sa confiance
qu'à des guides sûrs et orthodoxes, qu'il ne hasarde rien
de lui-même, qu'il rejette...
Texte 25 1751: la chaleur
Texte 26 1751: intrinsèque
Texte 27 1751 ajoute la phrase suivante: L'anglais
est est aujourd'hui si connu en France que je puis rapporter en original
les paroles du judicieux Addison.
Texte 28 Cette phrase remplace celle-ci de 1751:
S'agit-il d'exécuter une commission, de notifier des ordres, de
rapporter des discours, les acteurs d'Homère usent des mêmes
circonlocutions que ceux de Moïse.
Texte 29 Le texte 'Dans le second livre... '
jusqu'à '...Junon les a réunis' remplace les phrases suivantes
de 1751: C'est ainsi que dans les poèmes d'Homère, Mercure,
Iris et les messagers subalternes des divinités supérieures
répètent mot à mot ce qu'ils sont chargés d'aller
dire à d'autres dieux ou à des mortels. Ces exemples sont
assez fréquents dans le Pentateuque et dans les écrits du
poète grec, pour prouver en cela une ressemblance de dialogue si
parfaite qu'elle ne saurait échapper à ceux qui lisent avec
attention les premiers livres de la Bible et l'Iliade.
Texte 30 1751: les uns aux autres
Texte 31 1751: souvent
Texte 32 1751: et les faveurs
Texte 33 1751: Je ne saurais pardonner à
Buchanan de commencer presque tous ses psaumes par de longues périodes
qui énervent l'original.
Texte 34 1751: et qu'il est cependant si facile
Texte 35 1751: de mouvements très différents
Texte 36 1751: quelques-uns de choeurs
Texte 37 1751: qui occupe aujourd'hui le trône
de Saint Pierre; éloges d'autant plus précieux qu'ils ne
font pas moins d'honneur à la justesse de son discernement dans
les matières qu'il traite,* qu'à ses talents et à
son érudition. *'Pontifex Maximus...pietatem suam in argumentis
cribendi deinde optimum in iis rebus sensum, atque judicium animi tui multa
cum voluptate perspexit'. Lettre de S. E. M. le Cardinal Valenti de Gonzague,
écrite à M. Racine de la part de Sa Sainteté.
Texte 38 1751: ...M. de Bologne, qui nous a apporté
du fonds de l'Amérique autant d'élégance et d'harmonie
qu'il y a dans les meilleurs vers que l'on fait en Europe. Son recueil,
qui n'est pas long, a été reçu avec beaucoup d'applaudissement.
Texte 39 1751: Feu M. l'abbé Desfontaines
a trop bien mérité de la République
Texte 40 1751: l'enthousiasme qui y règne,
par la magnificence
Texte 41 1751: selon Saint Jérôme
Texte 42 1751: particulière
Texte 43 1751: Je dirai néanmoins en passant
que les premiers mots dy texte original du cantique chanté par les
Israélites sur le bord de la Mer Rouge forme un début très
harmonieux de vers hexamètres, et qu'on trouve dans la même
pièce des vers Texte 44 1751: On n'y
voit que des traits frappants et que des évènements mémorables
Texte 45 1751: d'avoir ouvert la route
Texte 46 L'auteur supprime le passage suivante
de 1751: Je n'ai rien pris des grands prophètes, parce que je voulais
donner des prophéties entières et que celles de Jérémie
ou d'Ezéchiel eussent été beaucoup trop longues; je
n'ai même choisi que les prophéties qui n'excèdent
pas le nombre de trois chapitres. On ne peut guère employer les
autres que par extraits et en composer des pièces détachées,
comme des odes, des cantiques, des prières.
Texte 47 1751: Quoique forcé, dans le
choix que j'ai fait de certaines prophésies, à l'exclusion
des autres, je n'ai point à me repentir de cette préférence
involontaire.
Texte 48 1751: ...ailleurs. Celle d'Abdias est
frappante
Texte 49 1751: Cet examen littéraire est
discuté avec autant d'exactitude que de profondeur.
Texte 50 1751: exemple
Texte 51 1751: Ils diminuaient en cela, si je
l'ose dire, les merveilles du Seigneur, puisque leur opinion attribuait
Texte 52 1751: recueil très estimable,
lequel indépendamment de la religion, qui est son principal objet,
contient d'excellentes recherches sur l'astronomie, sur la géographie,
sur l'histoire civile et naturelle, sur la médecine, sur l'agriculture,
et sur presque tous les arts.
Texte 53 1751: estiment
Texte 54 1751: notre fameux Victorin
Texte 55 1751: en ont été susceptibles
Texte 56 1751: Ce ne sont que transports affectueux,
qu'élancements vers la Divinité, fruits d'un saint enthousiasme
qui fournissent
Texte 57 L'auteur supprime la phrase suivante
de 1751: Je désirerais de plus que le sentiment en fût l'âme,
et qu'il perçât toujours par quelque endroit jusque dans les
sujets qui paraîtraient moins l'exiger.
Texte 58 L'auteur remplace les deux paragraphes
suivants de 1751, par une nouvelle conclusion: J'écris ce discours
au fond de la province, dans une campagne où je passerais ma vie
sans les liens qui m'attachent au service du Roi et du public; on sent
bien que j'y suis souvent dépourvu des guides les plus nécessaires
à un auteur, la critique et le conseil. Je n'ai pour y suppléer
que le secours de mes livres et du peu d'expérience que je puis
avoir acquis dans l'art d'écrire; ce qui n'est pas à beaucoup
près suffisant. Si Tite-Live n'a pu se garantir de la Patavinité,
que n'ai-je point à craindre du Gasconisme, moi qui suis si inférieur
à cet historien en talents naturels et en génie! Aussi l'application
la plus laborieuse ne saurait-elle me rassurer contre la défiance
de moi-même, la sévérité des bons critiques,
et l'injustice des mauvais. Outre les dix années que m'a coûté
la composition de cet ouvrage, j'en ai employé plus de cinq à
effacer, à refondre, et à polir; c'est, je pense, avoir rempli
rigoureusement le précepte d'Horace. Un auteur célèbre
demandait qu'on 'ne jugeât pas par la lecture d'un moment d'un travail
de vingt années'.* Malheureusement, les lecteurs sont plus libres
que les écrivains. Point de loi qui les oblige à réfléchir
longtemps sur un livre avant que de prononcer leur décision; ils
en sont quittes pour la parcourir au hasard, et dire en peu de mots: 'cela
est admirable, cela ne vaut rien'. Les connaisseurs équitables examineront
peut-être avec attention mes vers; le grand nombre les lira vite,
et les jugera de même. Telle est dans tous les genres la condition
des ouvrages humains, sur lesquels nous avons la misérable faiblesse
d'établir nos espérances, notre bonheur, et notre réputation.
Une fortune bâtie sur les fondements les plus solides est renversée
dans un jour. Une mort soudaine, une disgrâce imprévue nous
enlève d'un seul coup nos amis ou nos protecteurs. La flamme dévore
en un moment des édifices entiers. Qu'un auteur lu et condamné
dans un instant se soumette et se console! *Voyez la préface de
l'Esprit des Lois. [Charles-Louis de Secondat, baron de la Brède
et de Montesquieu, De l'Esprit des Lois, édition de Georges
Truc (Paris: Garnier Frères, 1961), I.1]
Last Updated: 25 September 2001