DISCOURS PRÉLIMINAIRE

    Les poésies que je présente ici au public roulent sur des objets qui méritent son attention. Elles sont même, j'ose le dire, d'un genre plus neuf que leur titre ne semble l'annoncer (Texte 1). Plusieurs de nos poètes se sont exercés sur les psaumes de David, et sur quelques cantiques des Livres Saints (Texte 2). Mais on n'a point touché aux prophéties; et à l'égard des hymnes, on s'est contenté de traduire une partie de celles qu'on lit dans les bréviaires. J'ai rassemblé dans ce volume des psaumes, des cantiques, des prophéties, et des Hymnes qui ne sont point des traductions.
    Indépendamment de cette variété générale qui distingue entre eux les différents livres (Texte 3) de ce recueil, je me suis attaché encore à la conserver, autant qu'il a dépendu de moi, dans chaque livre en particulier, en diversifiant les sujets, la mesure et le style. L'Ecriture Sainte est si variée, qu'il y aurait bien du malheur à être uniforme et monotone quand on écrit d'après elle. Quels ouvrages peuvent lui être comparés! Quelles histoires sont plus touchantes! Quels poèmes sont aussi sublimes! Où trouve-t-on ce mélange heureux et jamais interrompu de grandeur, de simplicité, de force et d'agrément, qui la met si fort au-dessus des plus magnifiques productions de l'esprit humain? Pour comble de perfection, son caractère propre est d'émouvoir, d'intéresser (Texte 4) et de parler toujours au coeur. Le sentiment domine dans tout ce que l'Esprit Saint a dicté aux hommes inspirés. Ce même avantage devrait aussi caractériser leurs traducteurs (Texte 5).
    On a cependant reproché à Rousseau (Texte 6) d'être un peu sec dans ses odes sacrées quand les grandes images l'abandonnent, d'ignorer le langage tendre et affectueux, en un mot, de manquer de sentiment. Mais ce reproche est-il bien juste? J'aurais de la peine à y souscrire. Plusieurs pièces de Rousseau réclamant contre la sévérité de ce jugement. Si j'ouvre son livre et que je tombe sur l'Ode septième:
Que la simplicité d'une vertu paisible
Est sûre d'être heureuse en suivant le Seigneur!
ou sur la douzième, qui commence ainsi: 
Dans ces jours destinés aux larmes
Où mes ennemis en fureur ...
Si je relis l'admirable Cantique d'Ezéchias:
J'ai vu mes tristes journées
Décliner vers leur penchant.
Si je m'arrête enfin à cette épode, l'un des derniers fruits de sa muse, je m'écrie, malgré les endroits faibles échappés à sa vieillesse, n'est-ce point-là de l'onction, de la douceur, de l'aménité! N'est-ce pas le langage du coeur et du sentiment!

    J'accuserais plus volontiers Rousseau de n'être pas toujours (Texte 7) aussi énergique, ni aussi sublime dans ses poésies sacrées, que le sujet semble l'exiger. Je ne prétends point le rabaisser par-là (Texte 8). Lorsqu'il manie la lyre profane, c'est la chaleur d'Horace; c'est l'emportement (Texte 9) de Pindare. S'il n'atteint pas ces deux poètes, il les suit de près, et laisse bien loin derrière lui tous les lyriques modernes. David est un rival plus redoutable (Texte 10). De là vient que nous avons en français un assez grand nombre de très bonnes odes sur des sujets profanes, quoique inférieures à celles de Rousseau, et que dans la multitude immense des versions rimées qu'on a faites des psaumes et des cantiques de la Bible il y en a bien peu dont un connaisseur, un homme de goût soutienne aisément et sans ennui la lecture.
    C'est qu'on traite un peu trop légèrement ce genre de poésie. On croit qu'il est fort facile de composer une ode sacrée, un cantique; et tel versificateur qui n'oserait traduire un endroit de Virgile ou une ode d'Horace, aura moins d'égard pour le texte de Moïse, de David et d'Isaïe. Souvent même il n'a qu'une notion très imparfaite de ces effrayants modèles qu'il lit superficiellement dans la Vulgate ou dans une traduction française. Le plus sûr serait de consulter à la fois le texte hébreu, la version des Septante, et la Vulgate. Celle-ci, quoique consacrée par l'usage et par le jugement de l'Eglise, en conservant fidèlement le dépôt des pensées, n'a pas toujours rendu avec la même vérité la force des expressions ni la beauté des images.
    Qu'on ne s'imagine pas connaître toutes les richesses poétiques de l'Ecriture, si on n'en juge que par la traduction latine. Il en est beaucoup resté dans l'original. Par exemple, et ce trait-ci, je le rapporte entre une infinité d'autres qu'on pourrait choisir au hasard, on lit ainsi dans la Vulgate le huitième verset du Psaume CXXXVIII. 'Si sumpsero pennas meas diluculo, et habitavero in extremis maris': 'Si je prends mes ailes au point du jour, et si je vais habiter aux extrémités de la mer'. L'hébreu dit: 'Je prendrai les ailes de l'aurore, etc. ...' ce que j'ai tâché d'exprimer par ces quatre vers:

Quand des ailes de l'aurore
J'emprunterais le secours,
Et qu'aux mers du peuple maure
J'irais terminer mon cours.
Dans la version latine, le psalmiste traverse les flots avec ses propres ailes; dans l'Hébreu, il prend celles de l'aurore. Cette dernière image a bien plus de hardiesse et de rapidité. Que de sentiment et de douceur dans ce 'point du jour' (Note 1) personnifié, dans cette 'étoile du matin' dont on emprunte les ailes! L'imagination s'allume à la vue de pareils objets; l'esprit le moins vif s'échauffe; le plus stérile devient fécond (Texte 11).
    C'est donc se ménager des ressources pour l'invention de détail et pour la poésie du style, que d'étudier dans leur propre langue les écrivains sacrés qu'on essaie de traduire en vers. Il faut pouvoir au moins (Texte 12) les lire dans la version des Septante. On y trouve l'original rendu presque partout littéralement; de sorte que (Texte 13) la lecture en est peut-être plus agréable et plus utile à quiconque voudra mettra en vers les psaumes, que la Vulgate même, digne d'ailleurs de toute la confiance des fidèles et de leur vénération. On sait de plus que la traduction des psaumes reçue par le Concile de Trente, n'est autre chose, à quelques différences près, que l'ancienne Vulgate, faite originairement sur la version Grecque, et corrigée depuis par saint Jérôme.
    On comprend par là que la poésie sacrée est un objet grave et important qu'on aurait tort de confondre avec la poésie ordinaire. Outre le respect dû aux saintes Ecritures, qui faisait dire à l'Impératrice Irène, femme de l'Empereur Alexis, princesse également belle et vertueuse (Note 2), 'qu'elle ne regardait jamais ces excellents ouvrages sans être saisie d'une sainte horreur, et sans appréhender d'être accablée par la gloire et par la majesté qui y brillent'; on doit apporter dans ce genre de composition des études sérieuses, des recherches, des connaissances de plus d'une espèce, et un travail assidu. Tout cela devient nécessaire quand on se donne la liberté, pour m'exprimer comme saint Jérôme, d'asservir la majesté des livres divins aux lois mécaniques de la versification (Note 3).
    Car enfin si la poésie profane n'est pas elle-même un jeu; si elle demande au contraire, suivant un écrivain bien respectable et bien judicieux, 'tout ce que l'esprit humain a de plus fort, de plus sublime, de plus brillant, tout ce que la parole a de plus expressif et de plus propre' (Note 4), que n'exige point cette poésie pure et céleste qui répand tant d'éclat dans les Cantiques de Moïse et de David! Or, c'est une vérité constante, que les écrits des grands poètes ne sont rien moins que des productions vaines et futiles (Note 5). Ne jugeons pas de la poésie par des exemples modernes. 'Pour en connaître le véritable caractère', ajoute le même M. Fleury qu'on n'accusera pas de favoriser les goûts frivoles ni les paradoxes, 'il faut remonter jusqu'à Sophocle et Homère. On verra une poésie très sérieuse et très agréable tout ensemble, propre à former le jugement pour la conduite de la vie, et pleine des instructions les plus nécessaires à ceux pour qui elle était faite; c'est-à-dire, de leur religion et de l'histoire de leur pays'. Ainsi les poèmes tirés des livres divins réunissent du côté de l'art tous les avantages de la poésie en général, et les relèvent encore par l'infinie prééminence du sujet. A quels efforts, à quels soins ne s'oblige-t-on pas quand on entreprend de pareils ouvrages!
    Saint Grégoire de Nazianze, grand poète et grand saint, qui se livra tout entier à la poésie dans sa dernière retraite, disait que cet exercice était pour lui un travail de pénitence, 'la composition en vers étant toujours plus difficile qu'en prose'. On lit avec plaisir dans l'Histoire Ecclésiastique, que cet homme vénérable, ne pouvant plus remédier aux malheurs de son siècle, s'en consolait dans son jardin, au bord de sa fontaine, à l'ombre de ses arbres, par la satisfaction de sentir Dieu et de faire des vers qui lui contaient d'ailleurs beaucoup de peine et d'application.
    Dieu a lui-même inspiré la poésie aux hommes. Il a voulu que pour célébrer ses grandeurs, sa puissance, ses miséricordes, sa bonté, que pour exprimer sa colère et son indignation, on se servît d'un langage figuré, hardi, mélodieux, assujetti à des mesures sonores et cadencées qui le distinguassent de la marche unie du discours ordinaire et commun. Il a dicté des vers à Moïse, à David, aux Prophètes, et même au malheureux Job, suivant Saint Jérôme. Un art dont l'origine remonte au souverain Créateur est le plus beau des arts (Texte 14). L'abus qu'en ont fait l'idolâtrie, le libertinage et l'impiété ne déshonore que les profanateurs de cette invention sublime. C'est la ramener à sa destination primitive, que de la consacrer à des objets instructifs ou édifiants. Quelque imparfaites que soient donc à certains égards les poésies sacrées, on doit toujours applaudir à l'intention des auteurs. Ceux qui réussissent le plus médiocrement dans ce genre n'ont pas du moins à se reprocher d'avoir insulté les moeurs ni la religion. Quoi qu'en disent les plaisants du siècle, il vaut mieux encore ennuyer un peu son prochain que de lui gâter le coeur ou l'esprit (Texte 15).
    Je sais qu'une telle Texte16 doctrine aura peu de sectateurs. Elle eût été supportable du temps de nos pères. C'étaient de bonnes gens qui croyaient de vieilles vérités, et qui ne marchaient pas comme nous à pas de géants dans le pays des découvertes. Ils rêvaient des mots, nous pensons des choses. Les fictions des hommes ne nous en imposent plus. C'est aujourd'hui le siècle de la philosophie; tout est à présent philosophe; expliquons-nous: tout prétend l'être. Notre prose et nos vers retentissent de ces grands mots, philosophie, sagesse, vérité, vertu. On dissipe nos préjugés; on éclaire nos esprits. Quelle lumière affreuse, ou plutôt, quelles ténèbres! Pour allumer le flambeau de la philosophie, on éteint celui de la foi. La religion naturelle est l'unique religion des honnêtes gens du monde. Le déisme a levé le masque; il paraît à découvert dans des livres accrédités. Physicien, naturaliste, astronome, métaphysicien, géomètre et moraliste, chacun dans son district, s'érige un tribunal suprême, où il examine, apprécie, calcule, pèse des causes qu'il ne voit point, des effets qu'il ne voit qu'à demi. Les opérations mystérieuses de la Divinité sont mesurées le compas à la main. On discute les livres divins comme une question de physique, ou comme un point d'histoire (Note 6). Moïse n'est pas mieux traité que Descartes. Physiciens de mauvaise foi dont les expériences sur le même fait sont détruites par des expériences contraires; philosophes aveugles, artistes impuissants qui ne sauraient concevoir la prévoyance ni l'industrie de la fourmi (Texte 18), imiter le nid d'un oiseau, et qui veulent soumettre à des observations incertaines, à des chimères métaphysiques, celui même qui leur donna la faculté de penser et de raisonner.
    Je dirai plus, et je ne craindrai pas de déplaire à ces puissants génies arrivés de nos jours sur la Terre pour l'éclairer; un incrédule est nécessairement un très mauvais logicien. Je suppose pour un moment que ce soit un philosophe. Accoutumé non seulement à tirer des conséquences et à former une chaîne de raisonnements qui dérivent d'un principe connu, mais encore à s'élever de conséquence en conséquence à des principes cachés, s'il oublie sa méthode dans une matière bien plus digne de ses méditations que la philosophie profane; et si d'une vérité incontestable, telle que l'existence d'un Etre infini, il ne descend pas par une suite d'arguments naturels qui naissent l'un de l'autre aux vérités et aux pratiques de la religion, ce n'est plus qu'un esprit faux, qu'un sophiste dangereux qui abandonne volontairement les règles fondamentales de son art.
    Un des plus beaux génies de l'univers, si l'on peut donner à un saint des louanges purement humaines, l'apôtre des nations disait aux Romains moins en prédicateur de l'Evangile qu'en philosophe sensé, en dialecticien très exact: 'Les grandeurs invisibles de Dieu deviennent en quelque façon visibles dans les choses qu'il a créées et qui sont sous nos yeux depuis le commencement du monde' (Note 7). Ce qui rend inexcusables les idolâtres mêmes justifiera-t-il des Chrétiens? Déplorons une science qui n'est qu'erreur, une sagesse qui n'est que folie (Note 8).
    Mon dessein n'est point de faire ici l'apologie de la religion. Mais j'ai cru que dans les circonstances présentes, où l'incrédulité armée des écrits de tant de savants et de gens de lettres, lui livre de toutes parts des assauts trop peu réprimes, je devais à moi-même, à la profession d'homme de lettres que je fais gloire d'allier avec des occupations plus importantes, à un art dont je n'ai point le malheur d'abuser, si j'ai celui de n'y pas réussir, une réclamation publique contre des opinions funestes dont on accuse aujourd'hui la philosophie, la poésie et la littérature de favoriser ouvertement le progrès. C'est aux pasteurs chargés de l'instruction des âmes, c'est aux pontifes conservateurs des vérités révélées, à veiller nuit et jour autour de ce précieux dépôt, à élever leur voix aux approches de l'ennemi, à le combattre, à le foudroyer. N'en doutons point: les dignes chefs de 1'Eglise Gallicane, de cette Eglise auguste où la foi et la discipline se conservent dans toute leur pureté depuis plus de quinze siècles, opposeront une digue au torrent qui se déborde. Ils guériront les plaies récentes de la Religion. L'erreur et l'impiété confondues n'auront plus l'audace de prononcer des arrêts sur les droits imprescriptibles du Sacerdoce et de l'Empire.
    Tel est sûrement le voeu (Texte 19) des personnes qui ont à coeur la conservation de la Foi, les intérêts de la religion et le culte des autels. C'est pour elles particulièrement que j'ai composé les poésies de ce recueil, et c'est à elles surtout que je dois rendre compte du système et de la conduite de mon travail.
    L'Ecriture en général ne saurait être traduite intelligiblement sans additions ni périphrases. Pour rendre le sens, il faut suppléer à la lettre. Les versions les plus estimées, comme celle du Père de Carrières, portent dans le texte même des explications qu'on y a insérées pour éclaircir les endroits obscurs, ou pour remplacer les expressions sous-entendues. Le plus grand nombre des versets est rempli de cette espèce de commentaire qui allonge considérablement l'original. Bien loin de s'en plaindre, on en a reconnu l'utilité. S'il est permis d'en user ainsi dans les traductions en prose, la liberté doit être encore plus grande dans les traductions en vers; et si l'on admet la périphrase ou le supplément dans les livres de l'Ecriture dont l'intelligence est moins difficile, tels que le Pentateuque et tous les livres historiques, on approuvera bien davantage ces sortes d'explications dans les Psaumes et dans les Prophéties, dont le sens mystérieux, le langage figuré, les expressions hardies et singulières n'offrent partout qu'embarras et difficultés.
    C'est traduire exactement et même avec précision David ou Habacuc, que de donner à leurs pensées, très claires en elles-mêmes, le degré de lumière qu'elles auraient à nos yeux, si le langue humain dont se servaient ces interprètes du Ciel, avait pu suivre la rapidité de l'Esprit divin qui les animait. Cette inspiration qui n'était pas également impétueuse, et qui avait plus ou moins de force, selon qu'il plaisait à Dieu de l'augmenter ou de la modérer, remplissait tellement les Prophètes et les écrivains inspirés, que les mots ne pouvaient dans leur bouche marcher de front avec les choses, sans un désordre visible, et sans des omissions fréquentes de plusieurs parties du discours. On le remarque principalement dans les ouvrages de saint Paul; et c'est à la véhémence de l'action surnaturelle qui entraînait son coeur et sa plume, qu'on doit attribuer ces lieux difficiles à entendre dont parle saint Pierre (Note 9).
    Ces effets n'ont rien d'extraordinaire, la cause une fois connue. Ce souffle intérieur, mais étranger, fait nécessairement quelque violence à l'âme dont il s'empare. Les Prophètes sentaient au-dedans d'eux-mêmes la direction puissante de l'esprit de Dieu, de cette intelligence universelle qui leur découvrait tout-à-coup l'avenir, et les portait à le révéler aux autres, quoique cette émotion secrète ne produisît rien au dehors qui blessât la décence et la majesté de leur ministère. La sainte agitation d'un homme inspiré est admirablement exprimée dans Athalie.
Mais d'où vient que mon coeur frémit d'un saint effroi?
Est-ce l'Esprit divin qui s'empare de moi?
C'est lui-même; il m'échauffe, il parle, mes yeux s'ouvrent,
Et les siècles obscurs devant moi se découvrent.
Lévites, de vos sons prêtez-moi les accords,
Et de ses mouvements secondez les transports.
Les faux prophètes étaient de vrais énergumènes. Ces victimes infortunées du démon, qui, sous le nom de prêtres ou de sibylles, publiaient autrefois les oracles du mensonge, n'attiraient les respects et la crédulité des hommes, qu'autant que l'inspiration prétendue divine agissait sur elles avec plus d'empire et de fureur. Toute leur âme ne pouvait suffire au tyran infernal qui la possédait. Elle faisait d'horribles efforts pour s'en débarrasser, en exprimant par des paroles entrecoupées les réponses ambiguës que lui dictait l'ange imposteur.
. . . . . .Magnum si pectore possit
Excussisse Deum (Note 10) . . . . . .
De là ces expressions équivoques, ces phrases imparfaites, ces discours interrompus. L'ennemi du genre humain ne réussissait à tromper les hommes qu'en contrefaisant la Divinité. Il imitait à sa façon la manière énergique, abrégée, souvent même énigmatique et concise dont s'énonçaient les organes du Seigneur. Dans ceux-ci, les pensées, les images appartiennent à la Divinité; le langage appartient à l'homme (Texte 20). Une traduction qui ne serait pas en même temps commentaire et paraphrase deviendrait souvent inintelligible (Texte 21). Mais en donnant un peu d'étendue aux expressions concises de l'Ecriture, j'ai partout respecté le sens. Il y a tant d'opposition, tant de variété parmi les Interprètes (Texte 22) sur lasignification de certains passages, qu'il est impossible de choisir une opinion, sans être combattu par les défenseurs de l'opinion contraire. La seule chose qu'on puisse exiger raisonnablement dans ce cas (Texte 23), d'un homme surtout qui n'est pas théologien de profession, c'est qu'il ne suive que des guides sûrs et orthodoxes; qu'il sacrifie ses propres conjectures (Texte 24); qu'il rejette les interprétations réprouvées, et que sa version soit appuyée sur des autorités graves et généralement reçues.
    Je me flatte qu'on n'aura point de reproche à me faire sur cet article important. On désapprouvera peut-être (car tout est de rigueur dans une traduction d'ouvrages tirés de 1 Ecriture) que j'aie transporté d'un psaume à l'autre un verset. Je veux si peu éluder la censure dans cette occasion, que j'avertis ici mes lecteurs de l'espèce d'altération dont on pourrait m'accuser. Ce verset transposé est le neuvième du quatrième Psaume: 'in pace in idipsum dormiam et requiescam'. Je l'ai placé dans l'ode tirée du Psaume septième, et je l'ai mis avant je dernier verset. Il s'offrit à moi de lui-même dans le feu (Texte 25) de la composition. Quand la strophe fut faite, je ne pus me résoudre à le supprimer, parce qu'il me sembla que c'était moins une addition à la pensée du psalmiste, qu'une suite ou une paraphrase naturelle des sentiments de confiance et de consolation qui succèdent dans son âme à la tristesse et à la douleur. C'est cependant une faute. Si elle n'est pas justifiée par l'aveu que j'en fais, elle est au moins diminuée par l'attention extrême quej'ai eue à n'y pas retomber.
    Je défendrai avec plus de succès les constructions que j'ai hasardées dans quelques endroits. L'exemple des interprètes grecs et latins m'a inspiré de la hardiesse. Souvent ils abandonnent les règles extérieures de la grammaire pour s'attacher à la force du sens. Je dis les règles extérieures, lesquelles ne consistent que dans le rapport des mots entre eux; car la grammaire considérée comme elle doit l'être, a des principes généraux (Texte 26) et philosophiques, d'où dépend l'accord de nos pensées avec les signes institués arbitrairement pour les exprimer; en sorte que l'art de parler tient si essentiellement à l'art de raisonner, que ces facultés ne sauraient être séparées sans nuire autant au philosophe qu'au poète et à l'orateur. Les constructions dont je parle, qui seraient d'ailleurs très déplacées dans le discours en prose, ne blessent point, ce semble, le concert régulier, quoique extérieurement interrompu, de la pensée avec l'expression. J'ai écrit dans la seconde cantique de Moïse:
Il le disait; et leurs blasphèmes
Sont étouffés au sein des flots.
Dieu fait retomber sur eux-mêmes
L'audace de leurs vains complots.
Le couplet précédent commence par ce vers:
Notre ennemi disait: Je poursuivrai ma proie...
C'est un Egyptien qui parle au nom de toute la nation. Le discours a plus de force dans la bouche d'un seul. L'image au contraire est plus forte quand elle représente un peuple entier. L'interlocuteur menace les Israélites de la part des Egyptiens, et ceux-ci sont engloutis. On prend le nombre collectif pour peindre cet événement terrible:
Il le disait; et leurs blasphèmes
Sont étouffés au sein des flots.
    La poésie y gagne, la grammaire n'y perd rien. Je pourrais de plus autoriser cette licence poétique par un grand nombre de citations hébraïques dont l'étalage m'a paru inutile. On remarque dans le texte sacré des assemblages plus bizarres et plus choquants en apparence, du singulier avec le pluriel. Et qu'on ne dise pas que ce sont là des tours propres et particuliers a l'hébreu, qui s accordent mal avec le caractère et le génie de la langue française. Cette incompatibilité disparaît dans la poésie. Un des plus sûrs moyens d'ennoblir le langage, et de le rendre poétique, c'est d'emprunter non seulement les expressions, mais encore les idiotismes des autres langues. Tel est le sentiment d'un Anglais, dont tous les écrits sont marqués au coin de la plus saine philosophie (Texte 27)(Note 11). Another way of raising the language, and giving it a poetical turn, is to make use of the idioms of other tongues. Milton, qui savait bien qu'Horace et Virgile ont rempli leurs poèmes d'hellénismes, n'a pas craint d'employer quelquefois des hébraïsmes dans le sien.
    Il n'est pas étonnant que des Poètes chrétiens enrichissent leurs ouvrages des tours et des expressions de la Bible, puisque, selon l'opinion de quelques savants, Homère et les anciens Grecs ont eu connaissance des Livres Saints, et en ont imité plusieurs endroits. Il est sûr au moins qu'on aperçoit une grande conformité entre la manière d'écrire de ce poète et celle des auteurs sacrés. On voit, par exemple dans Homère et dans Moïse, des formes de discours et des répétitions qui sont tout à fait semblables (Texte 28). Dans l'Exode: 'Allez trouver Pharaon, et dites-lui: Voici ce que dit le Seigneur, le Dieu des Hébreux. Laissez aller mon peuple, afin qu'il m'offre des sacrifices. Que si vous refusez de m'obéir, etc. ...' Moïse se présente au roi d'Egypte, et lui adresse la parole dans les mêmes termes. 'Voici ce que dit le Seigneur, le Dieu des Hébreux: Laissez aller mon peuple, etc. ...' Dans le second Livre de l'Iliade, Jupiter appelle un songe, et lui dit d'aller au camp des Grecs et dans la tente d'Agamemnon. 'Ordonne-1ui d'armer tous ses soldats. C'est à présent qu'il peut prendre la ville de Troie; car les Dieux ne sont plus divisés, Junon les a réunis'. Le songe part, il arrive chez l'aîné des Atrides, l'éveille, et après quelques reproches, il lui dit: 'Jupiter vous ordonne d'armer tous vos soldats. C'est à présent que vous pouvez prendre la ville de Troie; car les Dieux ne sont plus divisés, Junon les a réunis' (Texte 29). Voici encore une expression qu'on lit dans l'Ecriture, et qui est souvent répétée dans l'Iliade. 'Dixitque alter ad proximum suum.' Genes. XI, 3,. Ce qui signifie dans Homère, comme dans Moïse,'Et ils se disaient l'un à l'autre' (Texte 30): Le, qui reparaît plusieurs fois (Texte 31) dans l'Iliade et dans l'Odyssée, ressemble beaucoup à cette façon de s'exprimer du chapitre huitième de la Genèse, 'Et le Seigneur dit à son coeur'. Je rends le texte hébreu; la Vulgate a traduit simplement, 'Et le Seigneur dit'.
    Ajoutons avec d'habiles commentateurs qui l'ont déjà observé, que le Législateur des Juifs et le père de la poésie grecque sont encore conformes dans la description des sacrifices. Abraham, ayant pris tous les animaux que le Seigneur lui avait indiqués, 'les coupa par la moitié, et mit séparément vis-à-vis l'une de l'autre, les parties qu'il avait coupées'. L'Iliade et l'Odyssée nous apprennent que les sacrificateurs 'coupaient les quartiers, les couvraient de graisse, et les partageant en deux, les mettaient sur l'autel'. Ces ressemblances fréquentes qui portent sur le style, sur la narration et sur le fond des choses, autorisent les conjectures de ceux qui croient qu'Homère a connu les écrits de Moïse. Je n'en dirai pas davantage sur un point qui serait susceptible de discussions et de preuves plus étendues.
    De ces observations générales, je passe à des réflexions particulières sur chaque livre de ce recueil.

DES PSAUMES

    Cette portion inestimable de l'Ecriture est au-dessus des éloges. L'âme y trouve tous les sentiments qui lui sont nécessaires pour vivre en paix avec elle-même, avec les hommes et avec Dieu; toutes les ressources dont elle a besoin dans l'infortune et dans l'oppression. A côté de la menace et des châtiments marchent toujours l'espérance, les consolations, (Texte 32) les faveurs. L'imagination même y est flattée par le spectacle enchanteur des beautés et des richesses de la nature, par des comparaisons riantes, par des objets doux et gracieux. Les nations infidèles sont, comme nous, si frappées de l'excellence de ces poèmes divins, qu'elles en ont des versions dans leurs langues. Le docte Spon parle, dans ses voyages, d'une traduction de plusieurs Psaumes en vers Turcs, composés par un renégat Polonais nommé Halybeg.
    On découvre dans un monument de l'antiquité grecque des vestiges bien marqués de l'usage que Solon lui-même avait fait d'un Psaume. Eusèbe de Césarée et Clément d'Alexandrie attestent que ce législateur des Athéniens connaissait les Juifs. Curieux de tout ce qui concernait les différentes religions, il se fit sans doute expliquer les Psaumes de David. J'en apporte pour preuve l'imitation dont je parle, que d'autres ont observée avant moi. C'est une formule d'imprécation contre les violateurs de la consécration solennelle du Champ Cirrhéen. Ce décret si terrible des Amphictyons se lit tout entier dans la harangue d'Eschine contre Ctésiphon et Démosthène. On ne sera point fâché de confronter cette malédiction épouvantable avec les versets du Psaume 108 qu'il semble que Solon ait eus en vue.
IMPRECATION CONTENUE DANS LE PSAUME 108    IMPRECATION DES AMPHICTYONS

Quand on le jugera, qu'il soit condamné, et que ce qu'il dira     Qu'il soit toujours vaincu en guerre et en jugement. 
pour sa défense lui soit imputé à crime.

Que ses enfants meurent avant l'âge: que sa postérité finisse      Qu'il périsse misérablement lui, sa maison, et toute sa postérité.  dans une seule génération...

Que ses iniquités soient toujours présentes aux yeux du              Qu'il offre en vain des sacrifices à Apollon, à Diane, à Latone, Seigneur, et que sa mémoire périsse à jamais.                            à Minerve, et que ces divinités rejettent à jamais ses offrandes.

   Nous avons plusieurs traductions des Psaumes en vers latins. On connaît, entre autres, celle de Mathieu Toscan, qui est médiocre, et celle de Buchanan qui est excellente pour la beauté du langage et de la versification, mais fort inférieure pour la force et pour l'énergie à la version grecque du père Petau. Je ne pardonne point à Buchanan de commencer presque tous ses Psaumes par de longues périodes qui énervent l'original (Texte 33). Il ne connaît point ces débuts fiers et audacieux qui étonnent le lecteur, et qu'il est si facile (Texte 34) de conserver en traduisant littéralement l'Hébreu ou la Vulgate. Dixit insipiens: l'impie a dit: Exurgat Deus: Dieu se lève. Comparons dans un de ces deux Psaumes le Protestant et le jésuite.

Dixit insipiens in corde suo: non est Deus. (Psalm. 13.)
    Secum insania callidè
Indulgens vitiis sic loquitur; Deum
    Formido sibi credula
Commenta est hominum, quum temario
    Casu sors ferat omnia.
Le père Petau a dit en un seul vers digne d'Homère:
.
Il en est de même de tous les commencements de Psaume dans la paraphrase latine et dans la traduction grecque. Qui croirait que cette dernière, comparable peut-être pour le tour et l'harmonie de la versification, aux meilleures poésies des anciens Grecs, n'a été néanmoins que le délassement de son auteur, qui n'avait d'autre Parnasse pour la composition de ces magnifiques vers, que les allées et les escaliers du Collège de Clermont quand il descendait à l'Eglise ou au réfectoire! Mais cette traduction si supérieurement versifiée n'est pas exempte de défauts. Elle pèche au contraire par un endroit essentiel. On y chercherait en vain le genre et le ton lyrique. Elle est toute en vers hexamètres et pentamètres, en quoi le père Petau n'a point connu l'essence ni la construction de l'Ode. C'est au moins manquer de goût, que de suivre toujours la même mesure en traduisant des ouvrages de mouvements et de caractères (Texte 35)très différents.
    Il est assez inutile de faire mention des Odes sacrées de Rousseau. Nous n'avons point dans notre langue de poésies plus connues ni plus généralement admirées que celles-là.
    Le peu de Cantiques spirituels que nous a laissés l'incomparable Racine m'a toujours fait regretter qu'il n'en ait pas composé un plus grand nombre. Ils sont aussi bien écrits que ses tragédies. Je ne vois rien dans Rousseau qui, pour le sentiment, la douceur et la noblesse, égale les Cantiques sur la charité et sur les vaines occupations des gens du siècle, ainsi que les choeurs (Texte 36) d'Esther et d'Athalie.
    Le digne fils de ce grand homme a parfaitement réussi dans les psaumes qu'il a mis en vers, et dans ses Odes chrétiennes. Sa Muse inviolablement consacrée à la Religion, a mérité les éloges du Souverain Pontife qui occupait dans le temps le trône de saint Pierre (Texte 37).
    D'autres écrivains modernes ont aussi fait des odes sacrées fort estimables; mais ce sont des pièces détachées qui ne forment pas de suite. La plus nombreuse après celles de MM. Rousseau et Racine, est due à M. de Bologne. Il y a de l'élégance et de l'harmonie dans ses vers. Son recueil, qui n'est pas long, a été reçu avec applaudissement (Texte 38). Dans ce siècle, le Noble a traduit en vers le livre entier des Psaumes. Ce sont là de ces poésies dont on ne dit rien. L'antique version de Racan ne vaut guère mieux. Celle de M. Godeau, Evêque de Vence, n'est pas sans beautés. Quoique le style de cet auteur soit en général lâche et diffus, sa versification a cependant de la noblesse et de la douceur. L'Abbé Desfontaines a trop bien servi la République (Texte 39) des Lettres, il a composé de trop bons ouvrages pour que nous reprochions à sa mémoire l'extrême médiocrité de la traduction en vers d'un assez grand nombre de psaumes qu'il fit imprimer à Rouen peu de temps après avoir quitté la Compagnie de Jésus.

DES CANTIQUES

    C'est ici le triomphe de la poésie. Les Pères de l'Eglise et d'anciens Docteurs avaient une si haute idée de la plupart des cantiques contenus dans les Livres Saints, que plusieurs ont cru que ces poèmes merveilleux étaient plus particulièrement inspirés aux écrivains sacrés que le reste de l'Ecriture. Nous lisons dans une dissertation attribuée à Saint Augustin que le cantique d'action de grâces chanté par les Israélites, après le passage de la Mer Rouge, leur avait été dicté à tous en même temps, par une inspiration particulière de Dieu; ce qui arriva d'une manière si surnaturelle et si prompte, que dans un instant les vieillards, les femmes, les enfants, les tribus entières ne formèrent qu'un seul choeur, et pour ainsi dire, qu'une seule voix, sans la moindre différence dans les mots, sans aucune dissonance dans le chant. Le Seigneur avait été leur guide dans les flots; il voulut être le Coryphée de leurs concerts (Note 12).
    Les cantiques sont de véritables poèmes, non seulement par (Texte 40) la magnificence des images, par la pompe et par la force des expressions, mais encore par le mécanisme d'une construction méthodique, puisqu'ils sont versifiés, suivant le témoignage uniforme des plus savants hommes de l'antiquité. Joseph, Juif de naissance, saint Jérôme, qui étudia la langue hébraïque avec cette conception vive et pénétrante qu'on admirait en lui, et d'ailleurs avec plus de secours que n'en ont eu pour la même étude Scaliger et Augustin d'Eugubio, ses adversaires sur ce point de critique, Origènes et Eusèbe, assurent unanimement que les cantiques de Moïse sont écrits en vers. Qu'ils le soient en vers héroïques, comme l'affirme Joseph; que celui du Deutéronome soit en vers hexamètres et pentamètres, comme le veut saint Jérôme (Texte 41); que les Psaumes aient été composés en vers lyriques, tels que ceux des odes de Pindare et d'Horace; c'est sur quoi sans doute l'on ne peut avoir que des notions très imparfaites. Les personnes curieuses de ces discussions conjecturales les trouveront rassemblées dans la dissertation de Dom Calmet sur la poésie des Hébreux.
    Ce qui doit passer pour certain, c'est qu'à la poésie libre et naturelle, consistant uniquement dans les métaphores, les figures, les comparaisons, et qui n'appartient pas moins à la prose qu'au discours versifié, les auteurs des Cantiques ont ajouté l'assemblage artificiel des mots. Je croirai tant qu'on voudra, que cet assemblage est varié à l'infini, qu'il n'est point soumis à une mesure particulière, ni gêné par la répétition du même ordre de pieds ou de cadences. Mais si l'on avoue que ces morceaux ont été faits pour être mis en musique et chantés, on ne saurait disconvenir qu'il n'ait fallu pour les plier avec plus de grâce aux différentes modulations du chant, un mélange de brèves et de longues arrangées avec plus d'art et de symétrie que dans la prose. Et c'est précisément ce qu'on appelle des vers. Un vers ou une ligne, suivant la dénomination très juste des Anglais, n'est en effet qu'une ligne d'une certaine étendue, séparée des autres vers ou lignes par des repos plus ou moins marqués. Toutes les nations modernes, et plusieurs d'entre les anciennes, ont distingué ces repos par des rimes. Il y a certainement de l'harmonie dans ce retour des mêmes sons, et la musique vocale s'en accommode beaucoup.
    Ceux qui soutiennent contre les autorités respectables dont j'ai fait mention, qu'il ne paraît dans les Cantiques, dans les Psaumes, ni dans les livres de l'Ecriture que l'on croit écrits en vers, aucune trace de versification, reconnaissent pourtant qu'il s'y trouve quelquefois des rimes, et qu'elles y sont amenées pour flatter l'oreille et pur favoriser le chant. Voilà d'abord un aveu très avantageux pour le sentiment opposé. La rime suppose une espèce de contrainte dans la composition. Cette dépendance, quelque légère qu'elle soit, exclut la liberté qui caractérise la prose. Qu'importe que tous ces vers soient différents entre eux pour la mesure, et qu'ils ne ressemblent pas même à ceux dont on connaît la construction? Ce n'en sont pas moins des vers. Il suffit pour cela qu'on les ait détachés l'un de l'autre d'une manière sensible, qu'ils soient formés de mots distribués artistement, et qu'on y démêle une harmonie régulière (Texte 42), et même des licences poétiques. Pour s'en convaincre, on n'a qu'à lire l'analyse grammaticale du premier Cantique de Moïse, par Dom Guarin, tome II de sa Grammaire Hébraïque et Caldaïque. Prendre avantage de ce qu'on ne distingue aujourd'hui dans les textes sacrés, ni vers hexamètre, ni vers iambe, ni vers alcaïque, n'est qu'une vaine subtilité pour éluder la force des preuves qui concourent à établir que les Cantiques sont versifiés. Celui qui fit chanter par les Israélites sur le bord de la Mer Rouge, offre çà et là des fragments de vers (Texte 43) assez semblables aux pentamètres grecs et latins.
    Quoi qu'il en soit, ces morceaux sont au moins extrêmement poétiques, et tout à fait propres à être mis en vers. Je suis surpris que Rousseau les ait négligés. Il n'a fait usage que du Cantique d'Ezéchias, qu'on serait téméraire de vouloir traduire après lui. M. Godeau a longuement paraphrasé celui des trois compagnons de Daniel. Cette paraphrase lui valut l'évêché de Grasse. La récompense surpassait de beaucoup l'ouvrage; mais c'était le Cardinal de Richelieu qui récompensait. Ce Poème, qui porte l'empreinte des poésies de ce temps-là, et qui n'est rempli que de 'fleurs d'or sur le ciel étalées', de 'miracles roulants', et de 'vivants écueils', a malgré ses défauts le mérite peu commun du nombre et de l'harmonie. On y admire les six vers suivants:
    Qu'on te bénisse dans les Cieux
    Où ta gloire éblouit les yeux,
    Où tes beautés n'ont point de voiles;
    Où l'on voit ce que nous croyons,
    Où tu marches sur les étoiles,
Et d'où jusqu'aux enfers tu lances tes rayons.
Ce vers: 'où l'on voit ce que nous croyons', est sublime. Le même auteur a distribué en églogues le Cantique des Cantiques. C'est dommage qu'il n'y ait pas mieux réussi; son idée était ingénieuse et naturelle. Les descriptions champêtres, les images printanières qui font le charme de ce poème mystérieux, que tout le monde ne doit pas lire, conviennent particulièrement au genre pastoral.
    Nous avons deux paraphrases de ce même cantique, faites par le moine Willeram, abbé de Mersbourg, l'une en vers latins, et l'autre en langue tudesque ou théodisque, qui était celle des anciens Francs (Note 13). Pour la première, elle est écrite en vers du onzième siècle; c'est tout dire. La seconde est en prose. Dès la fin du neuvième siècle, le moine Otfride avait traduit en vers tudesques rimés une partie des quatre Evangiles. C'est dans ce vieux langage allemand qu'étaient composés ces poèmes que l'on chantait encore du temps de Charlemagne, et que ce prince savait par coeur, tant il aimait le jargon de ses ancêtres, sur lequel même il avait commencé une grammaire. On croit aussi, et c'est le sentiment de Lambecius (Note 14), qu'Otfride est l'auteur d'une version tudesque des cantiques que l'on chante à Laudes, suivant le bréviaire bénédictin, du Benedictus, et du Magnificat, trouvée à Innsbruck en 1665, dans un manuscrit inconnu jusqu'alors. Il ne fallait pas moins que les beautés surnaturelles d'une poésie divine, pour se soutenir au milieu des expressions d'une langue inculte et sauvage que l'art ne pouvait manier ni adoucir (Note 15), et qui par son excessive dureté, par la bizarrerie de sa prononciation, blessait, il y a huit cents ans, l'oreille des Francs ou des Germains un peu délicats. Mais les Cantiques de l'Ecriture se feraient remarquer dans quelque langue et dans quelque traduction que ce fût. Homère et Pindare auraient beaucoup à perdre dans une langue moins riche et moins sonore que la leur. Moïse, Débora, Judith n'y perdraient que des mots. Les traits ineffaçables de la Divinité perceraient toujours les ténèbres d'une traduction informe et de l'idiome le plus défectueux.

DES PROPHETIES

    Quoique les prophètes n'aient point écrit en vers comme David et Salomon, le style des Prophéties est cependant aussi poétique en général que celui des Cantiques et des Psaumes. On trouve même des Cantiques dans plusieurs Prophètes. Isaïe en a fait trois; le premier sur la délivrance des deux maisons d'Israël et de Juda, chap. XII; le second et le troisième en actions de grâces au Seigneur pour la liberté de son peuple et la punition des impies, chap. XXV et XXVI. Le troisième chapitre d'Habacuc n'est autre chose qu'un cantique, et c'est sans contredit un des plus remarquables de l'Ecriture.
    Les Prophéties sont ce qu'il y a de plus intéressant dans les Livres saints. Tous les mystères de la Loi nouvelle y sont prédits. C'est l'histoire passée, présente et future de la conduite du Seigneur. On n'y voit que des oracles imposants, que des prodiges, que des événements mémorables (Texte 44), que des châtiments de Rois, des destructions de peuples, des renversements d'empires, des armées d'insectes dévorants, des ravages, des mortalités, tous les fléaux de la vengeance divine. Mais ces carnages terribles sont toujours mêlées d'objets consolants. On y découvre dans un beau lointain, l'exécution parfaite des promesses de Dieu, l'avènement du Messie, la rédemption du genre humain, le triomphe de la Jérusalem céleste, l'exaltation des justes, le bonheur des élus. Considérons en même temps l'élévation des pensées, la variété des peintures, l'énergie des expressions, l'enthousiasme soutenu qui règne dans les Prophéties, nous sentirons qu'il ne manqua à tout cela que la versification pour être de véritables poèmes.
    J'espère donc qu'on me saura gré d'avoir montré le chemin (Texte 45) à ceux qui voudront puiser dans les Prophètes de nouvelles richesses poétiques, dont l'usage ignoré jusqu'à présent ne peut qu'honorer le talent des vers, le sanctifier même, et le rendre précieux à la religion. Avec quel plaisir, avec quel fruit ne lirait-on pas des traductions qui ressembleraient à ce morceau!
    Comment es-tu tombé des cieux,
    Astre brillant, fils de l'aurore:
    Puissant roi, prince audacieux,
    La terre aujourd'hui te dévore.
    Comment es-tu tombé des cieux,
    Astre brillant, fils de l'aurore!

Dans ton coeur tu disais: à Dieu même pareil,
J'établirai mon trône au-dessus du soleil,
Et près de l'aquilon, sur la montagne sainte,
    J'irai m'asseoir sans crainte;
A mes pieds trembleront les humains éperdus:
    Tu le disais, et tu n'es plus.

Ce sont deux strophes d'une ode irrégulière de M. Racine le fils, tirée d'Isaïe, ch. XIV (Texte 46). Je me propose, si le public reçoit avec indulgence mes essais, de faire à l'avenir d'amples moissons dans ce champ fertile et peu fréquenté.
    Le choix des Prophéties m'a longtemps causé de l'embarras (Texte 47). Elles ont chacune dans leur genre des ornements particuliers, des choses qui ne sont point ailleurs. Il n'est point de chapitre dans Ezéchiel ni dans Isaïe, qu'on ne soit tenté de traduire en vers. La Prophétie d'Abdias, la moins étendue de toutes, et qui ne contient qu'un seul chapitre (Texte 48), est frappante par sa singularité. L'imagination d'Homère ni la fougue de Pindare n'ont point enfanté d'idées qui approchent de celles-ci: 'l'orgueil de votre coeur vous a élevés, parce que vous habitez dans les fentes des rochers, et qu'ayant mis votre trône dans les lieux les plus hauts, vous dites en vous même: Qui me fera tomber en terre? Quand vous prendriez votre vol aussi haut que l'aigle, et que vous mettriez votre nid parmi les astres, je vous arracherais de la, dit le Seigneur'. Les pensées les plus brillantes des poètes profanes s'anéantissent devant ces traits inimitables qu'un génie mortel ne saurait créer sans le secours de l'inspiration divine.
    Les beautés poétiques de Ecriture sont toutes de la même perfection; et nous devons appliquer aux Livres saints en général, ce que M. Bossuet dit des psaumes en particulier, que la grandeur et l'élévation s'y réunissent avec la douceur et le sentiment. Ce prélat à jamais célèbre, qui a été lui-même le plus sublime et le plus éloquent des hommes, a fait dans le chapitre second de sa préface latine des Psaumes (Note 16) une analyse admirable de la poésie de Moïse et de David. Cet examen littéraire est plein de justesse et de sagacité (Texte 49). Que les écrivains inspirés y paraissent grands! Qu'Homère et Virgile y sont petits!
    Ces deux poètes si justement renommés comme auteurs profanes ne sauraient soutenir le parallèle avec l'Ecriture, dans les endroits même où ils excellent. Je n'en veux pour exemples (Texte 50) que ces peintures de combats et de batailles qui jettent tant de chaleur et d'action dans leurs poèmes. Sont-elles seulement comparables à la description que fait Joël des insectes meurtriers dont il prédisait l'irruption (Note 17)? 'Ils sont précédés d'un feu dévorant, et suivis d'une flamme qui brûle tout. La campagne, qu'ils ont trouvée comme un jardin de délices, n'est après leur passage qu'un désert affreux. . . A les voir, on les prendrait pour des chevaux. Ils s'élancent comme une troupe de cavalerie. Ils sauteront sur le sommet des montagnes avec un bruit semblable à celui des chariots, et d'un feu qui dévore de la paille sèche'. Qu'il y a de force et d'éclat dans ces images! Qu'elles sont vraies et terribles! On voit ces animaux, on les touche, on entend le bruit aigu de leur vol. Les sauterelles de Joël sont bien plus effrayantes que les bataillons de Turnus et d'Ajax.
    Je ne comprends pas pourquoi de très habiles interprètes de la Bible ont voulu voir dans ces insectes les différents peuples qui devaient successivement ravager les campagnes de Juda. Une telle opinion affaiblit les merveilles du Seigneur, puisqu'elle attribue (Texte 51) à des hommes ce qui a été exécuté par de simples volatiles. On n'ignore pas d'ailleurs que des nations entières ont été chassées de leur pays par des mouches, des moucherons, des guêpes, des abeilles, des scorpions, des rats, des fourmis et des tarentules. Bochart en fait un dénombrement dans le quatrième livre de ses animaux sacrés. Ce qu'il tire des auteurs profanes est fondé sur l'Ecriture. Les guêpes, les frelons et les sauterelles sont des fléaux dont Dieu menace assez souvent les hommes dans les Livres Saints. Il annonce à son peuple, dans le chap. XXIlI de l'Exode, que pour lui faciliter la conquête de la terre promise, il le fera précéder d'une armée de frelons; 'et j'enverrai le frelon devant vous, et il chassera les Hévéens, les Cananéens'.
    En effet, rien ne prouve tant la puissance de Dieu que les révolutions causées sur la terre par de méprisables animaux. Il pourrait susciter contre les hommes des troupes d'éléphants, de lions, de serpents monstrueux, et d'autres bêtes féroces dont la vue seule inspire l'horreur et l'effroi. De vils reptiles, des insectes ailés remplissent plus efficacement ses desseins, et nous avertissent mieux de la faiblesse de nos forces. Quand Sapor, Roi de Perse, assiégea Nisibe, Jacques, Evêque de cette ville, monta sur une tour, et ayant aperçu la prodigieuse multitude d'ennemis qui environnait les murailles, il pria Dieu d'envoyer contre eux des moucherons, 'afin que ces faibles animaux fissent connaître aux infidèles la puissance et la grandeur de celui qui protégeait les Romains' (Note 18). Sa prière fut pleinement exaucée. Certaines provinces de la Chine sont quelquefois inondées de sauterelles. La description qu'en fait un auteur du pays, se rapproche assez de celle qu'on lit dans Joël; conformité qui m'a paru digne de remarque. 'Elles couvrent le cie1; 1eurs ailes paraissent se tenir les unes aux autres. Elles sont en si grand nombre qu'en levant les yeux on croit voir sur sa tête de hautes et vertes montagnes. Le bruit qu'elles font en volant approche de celui du tambour'. C'est ainsi que ces animaux sont dépeints dans les Lettres édifiantes des missionnaires Jésuites, recueil très estimable, très utile, non seulement à la religion, qui est son principal objet, mais encore à l'histoire civile et naturelle, à la géographie, à la médecine, à i agriculture, et généralement à tous les arts (Texte 52).
    Dans les Prophéties, comme dans les Psaumes et dans les Cantiques, j'ai employé des strophes alternatives; et quelquefois, à l'imitation de Pindare, j'ai disposé les stances trois à trois, dont les premières sont semblables entre elles, et la troisième est d'une mesure différente. J'ai cru que ce mélange symétrique de strophes inégales formerait un contraste harmonieux, et que ces cadences ainsi diversifiées ne convenaient pas mal au genre lyrique. Car si la poésie ressemble à la peinture, elle doit aussi imiter la musique, dont le charme consiste dans une mélodieuse variété de tons et d'accords.

DES HYMNES

    L'usage des hymnes a commencé dans l'Eglise vers la fin du quatrième siècle. Les premiers Chrétiens ne chantaient que les Psaumes, soit dans leurs assemblées secrètes, soit dans les temples du Seigneur. Mais ces divins poèmes n'étant que prophétiques, il fallait quelque chose de plus pour la piété des fidèles depuis l'entier accomplissement des mystères de la nouvelle Alliance et la fondation de l'Eglise. Les miracles de Jésus-Christ, sa passion et sa résurrection, les fêtes de sa bienheureuse mère, la descente du Saint-Esprit, les apôtres, les martyrs, les vierges méritaient bien d'être célébrés par des chants particuliers. C'est ce que firent avec succès saint Hilaire, saint Amboise, et surtout Prudence, 'qui a mérité par ses vers d'être mis au rang des auteurs ecclésiastiques' (Note 19).
    Ce poète chrétien a composé un recueil d'Hymnes. L'Eglise en a conservé quelques-unes. On les trouve dans le bréviaire romain, mais fort abrégées, et avec des changements notables. Ce fut le fruit de la conversion de Prudence. Ses contemporains les estimaient (Texte 53) infiniment. Elles sont en effet fort belles pour le siècle où il vivait. Les lettres avaient alors éprouvé tout ce qui annonce ordinairement leur décadence et leur ruine. Le faux goût, les opinions bizarres, le mépris des grands modèles s'étaient accrus des préjugés de l'ignorance et de la barbarie. Les beaux arts enfin se voyaient dans cet état déplorable où il n'y a plus qu'un pas à faire de la chute à l'anéantissement. Ils ne luttaient contre leur mauvaise fortune que dans quelques villes gauloises, comme Toulouse, Bordeaux, Lyon, Autun, où l'on juge par les orateurs qui s'y distinguaient, et qui nous ont laissé des panégyriques, que les faibles restes de la saine et judicieuse littérature s'étaient réfugiés. Il ne serait pas difficile de prouver que la corruption du goût infecta la capitale avant les provinces, et qu'elle fut introduite à Rome par le luxe, la mollesse, le dérèglement des moeurs, et l'amour des nouveautés, toujours si funestes aux empires. On pourrait se livrer là-dessus à bien des réflexions; mais ce n'est point ici le lieu de s'y arrêter.
    Plusieurs modernes ont écrit des hymnes en vers latins. Il n'est pas permis de passer sous silence celles de Santeuil. Jamais homme peut-être ne fut plus rempli que lui de ce qu'on appelle verve poétique. Elle étincelle dans tous ses vers. Si les admirateurs de Prudence, entre autres Sidoine Apollinaire, ont comparé à Horace cet écrivain du quatrième siècle, malgré la dureté de sa versification et de son style, que n'eussent-ils pas dit des chef-d'oeuvres de Santeuil (Texte 54)? On l'accuse de n'être pas assez pur, ni assez correct dans sa latinité; je me figure que Cicéron et Virgile, s'ils revenaient au monde, feraient le même reproche aux auteurs modernes qui passent pour écrire le mieux en latin. Santeuil est plein de nerf et de feu. Ses hymnes de la Vierge sont charmantes. Il y déploie toutes les grâces de la poésie et les sentiments de la plus tendre dévotion. Heureux si en l'imitant dans quelques endroits, j'avais pu m'approprier son imagination et son génie!
    Réduit à mon propre fonds dans cette partie de mon travail, j'y ai employé, autant que les différents sujets l'ont admis (Texte 55), le langage et les pensées des écrivains sacrés. J'ai emprunté des Pères quelques idées grandes et sublimes qui convenaient parfaitement aux matières que je traitais. Leurs ouvrages sont, après l'Ecriture, le trésor le plus riche que nous connaissions. Ces hommes, que Dieu avait suscités pour la propagation, la défense, et l'affermissement de la foi prêchée par les Apôtres, n'étaient pas précisément inspirés, mais ils recevaient des secours si abondants de grâces et de lumière, que leur doctrine et leur éloquence annoncent visiblement l'Esprit divin qui les éclairait. Leurs écrits brillent souvent de beautés d'un ordre surnaturel. Ce sont (Texte 56)d'excellents matériaux pour la poésie. Je les ai mis en oeuvre; et si l'orgueil poétique ne m'abuse point, j'ose m'assurer qu'on ne sera pas mécontent de ces odes d'une nouvelle espèce, où je crois aussi qu'on apercevra de l'invention dans les détails.
    Je souhaiterais que ce genre réussît assez parmi nous pour engager nos bons poètes à le cultiver, et nos habiles musiciens à y consacrer leurs chants. Les motets de Lalande, de Campra, de Mondonville, charment les personnes même qui ne savent pas le latin. Elles entendraient avec bien plus de plaisir cette musique ravissante, si elle était sur des paroles françaises. Il faudrait qu'en se proposant pour modèles les Psaumes et les Cantiques, on rassemblât dans ces petits poèmes français tous les caractères de la poésie. Je les voudrais agréables, tendres et brillants pour les fêtes de la Vierge, pour la Nativité; majestueux et sublimes pour la Résurrection, la descente du Saint-Esprit, l'Ascension; lugubres, mais consolants, pour le jour des Morts; terribles pour le jugement dernier; triomphants, remplis d'amour et d'allégresse pour la fête de tous les saints. (Texte 57) Une musique assortie à des odes travaillées dans ce goût ferait vraisemblablement une sensation étonnante. Mes Hymnes ne seront, si l'on veut, que des esquisses de ces grands tableaux; mais le dessein en est bon; d'autres y mettront le coloris (Note 20) (Texte 58).

[DISCOURS PHILOSOPHIQUES]

    Telle est l'idée générale que je donnais au public de ces poésies lorsqu'elles parurent pour la première fois. Elles sont considérablement augmentées dans cette nouvelle édition. Quoique le goût du siècle ne favorise guère des productions de cette espèce, je ne saurais me plaindre de l'accueil qu'on a fait à celle-ci. Des journalistes également éclairés et circonspects dans leurs jugements n'ont pas craint de lui présager l'immortalité la plus flatteuse. On ne doit pourtant pas dissimuler que l'objet de ces poésies fut d'abord un préjugé contre elles. Des personnes, de très bon esprit d'ailleurs, furent effrayées du titre, comme si ce n'eût été qu'un livre de pure dévotion. Quand cela serait, je n'en rougirais pas. Mais ce n'est point là du tout le caractère distinctif de cet ouvrage. Consacré aux vérités éternelles de la religion, il est propre encore, si je ne me trompe, à intéresser les lecteurs même les moins religieux, par les différents genres qu'il réunit.
    J'ai de fortes preuves de ce que j'avance. Si je publiais quelques lettres qui me furent écrites dans le temps au sujet de ces poésies, tant de Paris que des pays étrangers, on serait étonné de voir des personnes, malheureusement pour elles, trop connues par leur indifférence en matière de religion, parler de ce livre avec une force et une chaleur de sentiment qui marquaient assez l'impression que sa lecture avait faite sur leur esprit.
    C'est principalement pour cette sorte de lecteurs que j'ai écrit les Discours Philosophiques, qui forment aujourd'hui la cinquième division de ce recueil. Ils y apprendront que la vraie philosophie n'avait pas attendu le dix-huitième siècle pour se montrer aux hommes; qu'elle est née avec eux; qu'elle est l'ouvrage, non de leurs vaines spéculations, mais de celui qui a imprimé dans leur âme l'idée de la Divinité, le sentiment du juste et de l'injuste, l'amour du bien, l'horreur du mal; en un mot, les notions de première nécessité.
    C'était peu de ces lumières primitives, qui ont suffi cependant pour faire des Socrates, des Platons, des Cicérons et tant d'autres philosophes païens, dont la doctrine sera la honte éternelle des faux sages de nos jours. Il fallait à l'homme une philosophie plus pure et plus sublime. Dieu lui en a donné un abrégé parfait dans les Livres saints. Les divines Ecritures sont le dépôt de toutes les vérités, de tous les devoirs, de toutes les sciences, et de tous les arts. Quoi de plus philosophique et de plus lumineux que les Livres Sapientiaux! Quoi de plus instructif pour toutes les conditions de la vie! Quelle connaissance du coeur humain et quels principes féconds de politique, de justice, d'humanité, de morale, de droit public et particulier? Rois et sujets, grands et petits, pères, femmes, enfants, hommes de tous les âges, de toutes les professions et de tous les rangs, c'est de ce livre céleste que nous vous dirons, comme à saint Augustin, 'prenez et lisez': lisez la règle de votre conduite, et le précis de vos obligations. Apprenez à commander, à obéir; à être pauvres, à être riches; à ne point faire d'injures, à les souffrir, à les pardonner. Apprenez à détester le mensonge, la calomnie, la trahison, l'esprit de révolte et d'impiété; à aimer vos semblables, à chérir les droits de la nature; à respecter l'Etre suprême, les mystères qu'il a révélés, le culte qu'il a établi. Et vous, partisans des lettres, des sciences, et des arts, 'prenez et lisez'. C'est là que vous trouverez le savoir et la modestie, les talents et la raison, la philosophie et la vertu. D'autres disent sans cesse à tout l'univers, nous sommes des philosophes. Et vous qui ne le dites pas, vous serez plus philosophes qu'eux; ou plutôt vous seuls le serez, parce que vous aurez fréquenté la seule école qui fasse de vrais philosophes.
    La philosophie n'est en effet que l'amour et la pratique de la sagesse. Or, il n'y a que les livres philosophiques de l'Ecriture où les devoirs du sage soient enseignés dans toute leur étendue et dans toute leur pureté, sans contradiction de systèmes, sans combat d'opinions, sans mélange de vérités et d'erreurs.
    Ces écrits divins ont de plus deux grands avantages sur tout ce que nous avons de meilleur en fait de philosophie profane; le premier, c'est qu'on n'y trouve aucune leçon de conduite, aucun précepte de morale, qui, de l'aveu de tout homme sensé, de quelque religion qu'il puisse être, ne soient incontestablement vrais; le second, c'est qu'il n'y a pas une seule vérité utile dans les ouvrages philosophiques anciens ou modernes les plus estimés, qui ne soit contenue dans les Livres saints. Ils peuvent donc nous tenir lieu de toute autre instruction en ce genre, et l'on aurait tort de chercher ailleurs ce qu'ils nous offrent si abondamment et d'une manière si parfaite.
    De tous les temps il s'est échappé des rayons de ce globe de lumière qui ont percé la nuit du paganisme. Que cette communication se soit faite de proche en proche) ou directement, ou par des voies détournées, il n'en est pas moins certain que la doctrine de l'Ecriture a été connue dans les écoles païennes. De savants Chrétiens des premiers siècles n'en doutaient pas. C'était le sentiment de Minucius Felix. 'Vous voyez, dit-il, comme les philosophes disent les mêmes choses que nous. C'est pas que nous ayons suivi leurs traces; mais c'est qu'ils ont puisé la vérité dans nos prophètes, et qu'ils l'ont altérée' (Note 21).
        Malheur aux discours dont je rends compte ici au public, s'ils étaient dans ce cas; mais j'ose croire qu'ils sont à l'abri de toute imputation de cette nature. Je dois seulement prévenir le lecteur qu'ils n ont pas été travaillés dans le même ordre ni sur le même plan que les Psaumes, les Cantiques et les Prophéties. Là, je traduis fidèlement ou j'imite avec exactitude l'original. Ici j'accommode le texte aux sujets que j'ai choisis, sujets tirés néanmoins des mêmes livres qui m'ont fourni les matériaux de l'ouvrage. Pour cela j'ai pris dans différents chapitres tous les versets relatifs au même objet. Je les ai liés ensemble; j'en ai développé le sens et les preuves; je leur ai donné une juste étendue, et j'en ai composé des discours détachés et indépendants l'un de l'autre. C'est la forme que j'ai observée à l'égard des Proverbes, parce que les matières y semblent mêlées et confondues. Ce livre est un trésor de pensées. C'est le traité de morale le plus profond et le plus complet qui soit entre les mains des hommes.
    L'Ecclésiaste paraît plus suivi. Tout s'y rapporte à un seul principe général, que 'tout est vanité sur la terre'; et à une seule conclusion, qu'il n'y a de solide que 'la crainte de Dieu et l'observation de ses commandements'. Je ne me suis point écarté de ce plan, et j'ai gardé l'ordre des chapitres.
    Je me flatte enfin qu'on m'approuvera d'avoir imaginé des poèmes philosophiques d'un caractère nouveau. C'est un essai susceptible de perfection; une route de plus ouverte à la poésie. Nous avons aujourd'hui des poètes philosophes. Leurs vers valent mieux que les miens; j'en suis persuadé. Mais la philosophie de Salomon vaut certainement mieux que la leur, et c'est celle-là que j'ai mise en vers.


Retour au titre

NOTES DU TEXTE ORIGINAL

Note 1 Le mot hébreu signifie également Aurora, Lucifer, diluculum.
Note 2 Histoire de l'Empereur Alexis par Anne Comnène. Traduction du Président Cousin.
Note 3 'Juvencus presbyter sub Constantino Domini Salvatoris versibus explicavit, nec permituit evangelii majestatem sub metri leges mittere'. Hier. lib. I, Epist. 58.
Note 4 M. Fleury du choix et de la conduite des études.
Note 5 La poésie est plus sérieuse et plus utile que le vulgaire ne le croit'. M. de Fénelon sur l'éloquence, pag. 306.
Note 6 Voyez entre autres un ouvrage impie qui a paru en France, dont la première partie traite 'du monde, de son origine et de son antiquité'; et la seconde 'de l'âme et de son immortalité' (Texte 17).
Note 7 'Invisibilia enim ipsius à creaturâ mundi, per ea quae facta sunt intellecta conspiciuntur...' [1751 ajoute: Ita ut sint inexcusabiles.] Paul. ad Rom. cap. 1, 20.
Note 8 'Evanuerunt in cogitationibus suis, et obscuratum est insipiens cor eorum. Dicentes enim se esse sapientes, stulti facti sunt'. Ibid.
Note 9 'In quibus sunt quaedam difficilia, quae indocti et instabiles depravant, sicut et caeteras scripturas, ad suam ipsorum perditionem'. Epist. 2, cap. 2.
Note 10 AEneïd. 6, v. 78.
Note 11 Spect. tom. 4, n. 285.
Note 12 'Et qui paulo ante in profundo coram eis apparuerat, ipse postmodum in tali cantico eorum linguas et ingenia gubernabat'. De mirabilib. Sacrae Scrip.
Note 13 'Frisica aut Francica'. Voyez une lettre latine écrite par un anonyme à Paul Merula, éditeur des deux paraphrases de Willeram et du commentaire allemand qui les accompagne.
Note 14 Histoire Littéraire de la France, tome IV [1751: tom. V].
Note 15 'Hujus linguae barbaries ut est inculta et indisciplinabilis, atque insueta capi regulari fraeno grammaticae artis, sic etiam in mutis dictis, scripto est propter litterarum aut congeriem, aut incongruam sonoritatem difficilis'. Otfride dans la préface de sa traduction en vers tudesques des quatre Evangiles.
Note 16 Oeuvres de M. Bossuet, tom. I, 'de grandiloquentia et suavitate Psalmorum.
Note 17 Joël, 2.
Note 18 Hist. de l'Eglise par Théodoret, Liv. II, Chap. XXX.
Note 19 M. de Tillemont, d'après Gennade.
Note 20 Jusqu'ici c'est l'ancien Discours préliminaire qu'on trouve à la tête des premières éditions.
Note 21 'Animadvertis Philosophos eadem disputare quae diximus; non quod nos simus eorun vestigia subsecuti, sed quod illi de divinis praedictionibus Prophetarum umbram interpolatae veritatis imitati sint'. M. Minucii Felicis Octavius. 

TEXTES: VARIANTES

Texte 1 Ces deux phrases remplacent la phrase suivante de 1751:

Voici un recueil de poésies dont quelques-uns sont d'un genre assez nouveau, et qui roulent toutes sur des objets dignes de láttention du public.
Texte 2 1751: et sur la plupart des cantiques répandus dans les différents livres de l'Ecriture Sainte
Texte 3 1751: les quatre livres
Texte 4 1751: d'intéresser l'âme
Texte 5 Cette phrase remplace la phrase suivante de 1751: Ce même avantage devrait aussi caractériser les imitateurs des poètes de l'Ancien Testament.
Texte 6 L'auteur supprime ce texte de 1751: je parle ici non des critiques injustes de ses ennemis, mais des observations de personnes d'ailleurs équitables et qui le regardent comme un auteur dont les écrits ne périront qu'avec la poésie française: on lui a, dis-je,
Texte 7 Le mot 'toujours' ne se trouve pas dans 1751.
Texte 8 Cette phrase remplace la suivante de 1751: Je ne pense pourtant pas que cette accusation, supposé même qu'il soit fondé, puisse porter la moindre atteinte à la supériorité de son talent.
Texte 9 1751: 'enthousiasme' au lieu de 'emportement'
Texte 10 L'auteur supprime la phrase suivante de 1751: Il était inspiré par un Maître dont les expressions divines ne sauraient guère être égalées par le faible langage des mortels.
Texte 11 L'auteur supprime cette fin de phrase de 1751: que l'art des Zeuxis et des Raphaël n'offre rien aux yeux de plus frappant, ni de plus animé.
Texte 12 1751: Il faut au moins pouvoir
Texte 13 1751: On y trouve l'original mot pour mot, partout où elle ne s'éloigne pas de l'hébreu; en sorte que
Texte 14 1751: un art infiniment précieux.
Texte 15 1751: n'ont pas du moins à s'imputer d'avoir par leurs écrits étouffé dans de jeunes coeurs les semences de la vertu ou les principes de la religion. Quoi qu'en disent les plaisants du siècle, il vaut mieux ennuyer son prochain que le corrompre ou le pervertir.
Texte 16 1751: une pareille doctrine
Texte 17 1751: un ouvrage qui a paru cette année en France
Texte 18 1751: qui ne sauraient expliquer la manoeuvre d'une fourmi
Texte 19 1751: Tels sont sûrement les voeux
Texte 20 1751: Dans ceux-ci les idées, les sentiments, les images appartiennent à la Divinité; le langage est tout mortel. Les premiers seraient toujours lumineux, s'ils n'étaient quelquefois enveloppés dans les ténèbres de l'autre. Une traduction...
Texte 21 1751: ...et paraphrase ne présenterait aux lecteurs qu'un pompeux galimatias.
Texte 22 1751: Les interprètes sont si fort partagés
Texte 23 1751: dans cette circonstance
Texte 24 1751: c'est qu'il ne donne sa confiance qu'à des guides sûrs et orthodoxes, qu'il ne hasarde rien de lui-même, qu'il rejette...
Texte 25 1751: la chaleur
Texte 26 1751: intrinsèque
Texte 27 1751 ajoute la phrase suivante: L'anglais est est aujourd'hui si connu en France que je puis rapporter en original les paroles du judicieux Addison.
Texte 28 Cette phrase remplace celle-ci de 1751: S'agit-il d'exécuter une commission, de notifier des ordres, de rapporter des discours, les acteurs d'Homère usent des mêmes circonlocutions que ceux de Moïse.
Texte 29 Le texte 'Dans le second livre... ' jusqu'à '...Junon les a réunis' remplace les phrases suivantes de 1751: C'est ainsi que dans les poèmes d'Homère, Mercure, Iris et les messagers subalternes des divinités supérieures répètent mot à mot ce qu'ils sont chargés d'aller dire à d'autres dieux ou à des mortels. Ces exemples sont assez fréquents dans le Pentateuque et dans les écrits du poète grec, pour prouver en cela une ressemblance de dialogue si parfaite qu'elle ne saurait échapper à ceux qui lisent avec attention les premiers livres de la Bible et l'Iliade.
Texte 30 1751: les uns aux autres
Texte 31 1751: souvent
Texte 32 1751: et les faveurs
Texte 33 1751: Je ne saurais pardonner à Buchanan de commencer presque tous ses psaumes par de longues périodes qui énervent l'original.
Texte 34 1751: et qu'il est cependant si facile
Texte 35 1751: de mouvements très différents
Texte 36 1751: quelques-uns de choeurs
Texte 37 1751: qui occupe aujourd'hui le trône de Saint Pierre; éloges d'autant plus précieux qu'ils ne font pas moins d'honneur à la justesse de son discernement dans les matières qu'il traite,* qu'à ses talents et à son érudition. *'Pontifex Maximus...pietatem suam in argumentis cribendi deinde optimum in iis rebus sensum, atque judicium animi tui multa cum voluptate perspexit'. Lettre de S. E. M. le Cardinal Valenti de Gonzague, écrite à M. Racine de la part de Sa Sainteté.
Texte 38 1751: ...M. de Bologne, qui nous a apporté du fonds de l'Amérique autant d'élégance et d'harmonie qu'il y a dans les meilleurs vers que l'on fait en Europe. Son recueil, qui n'est pas long, a été reçu avec beaucoup d'applaudissement.
Texte 39 1751: Feu M. l'abbé Desfontaines a trop bien mérité de la République
Texte 40 1751: l'enthousiasme qui y règne, par la magnificence
Texte 41 1751: selon Saint Jérôme
Texte 42 1751: particulière
Texte 43 1751: Je dirai néanmoins en passant que les premiers mots dy texte original du cantique chanté par les Israélites sur le bord de la Mer Rouge forme un début très harmonieux de vers hexamètres, et qu'on trouve dans la même pièce des vers Texte 44 1751: On n'y voit que des traits frappants et que des évènements mémorables
Texte 45 1751: d'avoir ouvert la route
Texte 46 L'auteur supprime le passage suivante de 1751: Je n'ai rien pris des grands prophètes, parce que je voulais donner des prophéties entières et que celles de Jérémie ou d'Ezéchiel eussent été beaucoup trop longues; je n'ai même choisi que les prophéties qui n'excèdent pas le nombre de trois chapitres. On ne peut guère employer les autres que par extraits et en composer des pièces détachées, comme des odes, des cantiques, des prières.
Texte 47 1751: Quoique forcé, dans le choix que j'ai fait de certaines prophésies, à l'exclusion des autres, je n'ai point à me repentir de cette préférence involontaire.
Texte 48 1751: ...ailleurs. Celle d'Abdias est frappante
Texte 49 1751: Cet examen littéraire est discuté avec autant d'exactitude que de profondeur.
Texte 50 1751: exemple
Texte 51 1751: Ils diminuaient en cela, si je l'ose dire, les merveilles du Seigneur, puisque leur opinion attribuait
Texte 52 1751: recueil très estimable, lequel indépendamment de la religion, qui est son principal objet, contient d'excellentes recherches sur l'astronomie, sur la géographie, sur l'histoire civile et naturelle, sur la médecine, sur l'agriculture, et sur presque tous les arts.
Texte 53 1751: estiment
Texte 54 1751: notre fameux Victorin
Texte 55 1751: en ont été susceptibles
Texte 56 1751: Ce ne sont que transports affectueux, qu'élancements vers la Divinité, fruits d'un saint enthousiasme qui fournissent
Texte 57 L'auteur supprime la phrase suivante de 1751: Je désirerais de plus que le sentiment en fût l'âme, et qu'il perçât toujours par quelque endroit jusque dans les sujets qui paraîtraient moins l'exiger.
Texte 58 L'auteur remplace les deux paragraphes suivants de 1751, par une nouvelle conclusion: J'écris ce discours au fond de la province, dans une campagne où je passerais ma vie sans les liens qui m'attachent au service du Roi et du public; on sent bien que j'y suis souvent dépourvu des guides les plus nécessaires à un auteur, la critique et le conseil. Je n'ai pour y suppléer que le secours de mes livres et du peu d'expérience que je puis avoir acquis dans l'art d'écrire; ce qui n'est pas à beaucoup près suffisant. Si Tite-Live n'a pu se garantir de la Patavinité, que n'ai-je point à craindre du Gasconisme, moi qui suis si inférieur à cet historien en talents naturels et en génie! Aussi l'application la plus laborieuse ne saurait-elle me rassurer contre la défiance de moi-même, la sévérité des bons critiques, et l'injustice des mauvais. Outre les dix années que m'a coûté la composition de cet ouvrage, j'en ai employé plus de cinq à effacer, à refondre, et à polir; c'est, je pense, avoir rempli rigoureusement le précepte d'Horace. Un auteur célèbre demandait qu'on 'ne jugeât pas par la lecture d'un moment d'un travail de vingt années'.* Malheureusement, les lecteurs sont plus libres que les écrivains. Point de loi qui les oblige à réfléchir longtemps sur un livre avant que de prononcer leur décision; ils en sont quittes pour la parcourir au hasard, et dire en peu de mots: 'cela est admirable, cela ne vaut rien'. Les connaisseurs équitables examineront peut-être avec attention mes vers; le grand nombre les lira vite, et les jugera de même. Telle est dans tous les genres la condition des ouvrages humains, sur lesquels nous avons la misérable faiblesse d'établir nos espérances, notre bonheur, et notre réputation. Une fortune bâtie sur les fondements les plus solides est renversée dans un jour. Une mort soudaine, une disgrâce imprévue nous enlève d'un seul coup nos amis ou nos protecteurs. La flamme dévore en un moment des édifices entiers. Qu'un auteur lu et condamné dans un instant se soumette et se console! *Voyez la préface de l'Esprit des Lois. [Charles-Louis de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu, De l'Esprit des Lois, édition de Georges Truc (Paris: Garnier Frères, 1961), I.1] 


Last Updated: 25 September 2001