Tirée du Psaume CXIX: Ad Dominum, cum tribularer, clamavi.
ARGUMENT
Ce psaume est le premier des quinze appelés graduels ou des degrés. L'auteur, quel qu'il soit, y prie le Seigneur de le délivrer de la langue meurtrière et des violences de ses ennemis. Plusieurs Pères de l'Eglise et d'habiles interprètes modernes ont cru apercevoir dans ces quinze Psaumes les gémissements des captifs de Babylone, et les chants de joie de ceux qui retournèrent à Jérusalem.Dieu vengeur de l'innocence,
Dis-moi, langue téméraire,
Quel sera donc le salaire
De tes traits accoutumés?
Je vois dans des mains puissantes,
Je vois des flèches perçantes
Et des charbons allumés.
Quel exil! quel esclavage!
D'un peuple injuste et sauvage
J'ai longtemps suivi le char.
Victime toujours mourante,
Je traînais ma vie errante
Dans les plaines de Cédar.
O Cédar! affreuse terre!
Je rends la paix pour la guerre
A tes citoyens sans foi.
Enfant de la paix, je l'aime,
Mais hélas! ma douceur
même
Les irrite contre moi.
ODE XV
Tirée du Psaume CXX: Levavi oculos meos in montes.
ARGUMENT
Ce psaume est une suite du précédent, il ressemble assez à un dialogue. C'est un infortuné, c'est un captif qui met toute sa confiance au Seigneur. Les images militaires employées dans ce cantique ont fait croire à plus d'un commentateur que David l'avait composé pendant la guerre qu'il eut contre Absalon.
Vers ces monts qui percent
la nue
Mes regards s'élèvent
toujours.
Je cherche la route inconnue
Par où me viendra du
secours.
Ce secours, c'est Dieu qui l'envoie,
Le Dieu sans qui je suis en
proie
A l'ignominie, aux revers;
Ce Dieu puissant dont la parole
A fondé sur un double
pôle
L'édifice de l'univers.
Qu'il ne souffre point que mon
âme
Tombe en des pièges ennemis,
Ni par une odieuse trame
Que mes gardes soient endormis.
Non, ne crains rien, ta garde
veille.
Il ne dort point ni ne sommeille,
Celui qui défend Israël;
Il marche avec lui dans ses
guerres;
Il le couvre de ses tonnerres,
Et de la milice du ciel.
Sans danger et sans épouvante
Tu braveras, si Dieu te suit,
Du jour la chaleur dévorante
Et la froidure de la nuit.
Dans les cités, dans
la campagne,
Qu'il te conduise ou t'accompagne
Arbitre auguste de ton sort;
Qu'il te protège dès
l'enfance,
Et de l'instant de ta naissance
Soit ton guide jusqu'à
la mort.
ODE XVI
Tirée du Psaume CXXIX: De profundis clamavi ad te, Domine.
ARGUMENT
C'est encore un des psaumes graduels, et le sixième des pénitentiaux. L'Eglise en a fait de plus un hymne funèbre, et c'est par excellence la prière pour les morts. Je l'ai traduit sur l'hébreu, dont le sens diffère absolument de celui de la Vulgate en deux ou trois versets. Rien de plus tendre ni de plus consolant que ce petit poème. Il est plein de répétitions touchantes, et respire une certaine langueur qui donne au sentiment les grâces naturelles et l'air négligé qu'il doit avoir.
Je t'adresse ma voix plaintive,
Seigneur, de l'abîme où
je suis.
Que deviendrai-je si tu fuis
Mon âme en ses liens captive?
Entends les regrets de mon coeur,
Et prête une oreille attentive
A la prière d'un pécheur.
Ah! grand Dieu, si dans ta vengeance
Tu comptais nos iniquités,
Comment fuir tes yeux irrités!
Comment soutenir ta présence!
Mais ta bonté suspend
tes coups,
Et tu me montres ta clémence
Pour que je craigne ton courroux.
J'attends le Seigneur, je l'implore
Par mes larmes et par mes voeux.
Mon âme attend l'effet
heureux
De ses promesses qu'elle adore;
Et les gardes de nos remparts
Soupirent moins après
l'aurore
Qu'ils appellent par leurs regards.
Dans le juste effroi qui vous
glace,
Mortels, espérez au Seigneur:
Espérez tout de sa douceur,
Sa pitié jamais ne se
lasse.
Qu'Israël soit toujours
soumis,
Israël obtiendra sa grâce,
Et ses péchés
seront remis.
ODE XVII (1751: ODE IX)
Tirée du Psaume CXXXVI: Super flumina Babylonis, illic sedimus et flevimus, cum recordaremur Sion.
ARGUMENT
Dans ce psaume, composé prophétiquement par David ou par quelque autre (Texte XVII.1) à l'imitation de David, durant ou après la captivité de Babylone, l'auteur exprime les gémissements des Juifs et l'amour singulier qu'ils ont tous pour leur patrie. C'est en même temps une prédiction de la vengeance que Dieu tirera des Babyloniens et des Iduméens.
Captifs chez un peuple inhumain,
Nous arrosions de pleurs les rives étrangères,
Et le souvenir du Jourdain
A l'aspect de l'Euphrate augmentait nos misères.
Aux arbres qui couvraient les
eaux
Nos lyres tristement demeuraient suspendues,
Tandis que nos maîtres
nouveaux
Fatiguaient de leurs cris nos tribus éperdues.
Chantez, nous disaient ces tyrans,
Les hymnes préparés pour vos fêtes
publiques,
Chantez, et que vos conquérants
Admirent de Sion les sublimes cantiques.
Ah! dans ces climats odieux,
Arbitre des humains, peut-on chanter ta gloire!
Peut-on, dans ces funestes lieux,
Des beaux jours de Sion célébrer la mémoire!
De nos aïeux sacré
berceau,
Sainte Jérusalem, si jamais je t'oublie,
Si tu n'es pas jusqu'au tombeau
L'objet de mes désirs, et l'espoir de ma vie:
Rebelle aux efforts de mes doigts,
Que ma lyre se taise entre mes mains glacées!
Et que l'organe de ma voix
Ne prête plus de sons à mes tristes pensées!
Rappelle-toi ce jour affreux,
Seigneur, où d'Esaü la race criminelle
Contre ses frères malheureux
Animait du vainqueur la vengeance cruelle.
Egorgez ces peuples épars,
Consommez, criaient-ils, les vengeances divines:
Brûlez, abattez ces remparts,
Et de leurs fondements dispersez les ruines.
Malheur à
tes peuples pervers,
Reine des nations, fille de Babylone;
La foudre gronde
dans les airs,
Le Seigneur n'est pas loin, tremble, descends du trône.
Puissent tes palais embrasés
Eclairer de tes rois les tristes funérailles;
Et que sur la pierre écrasés
Tes enfants de leur sang arrosent tes murailles.
ODE XVIII (1751: ODE X)
Tirée du Psaume CXXXVIII: Domine, probasti me.
ARGUMENT
Ce psaume, quoique très difficile et très obscur par rapport au sens allégorique, est néanmoins un des plus graves et des plus instructifs de tous ceux de David. Le Prophète nous y fait voir (Texte XVIII.1) que rien n'échappe à la connaissance et aux soins du Seigneur; d'où il s'ensuit que Dieu jugera les hommes sur cette connaissance parfaite qu'il a de leurs actions et de leurs moindres pensées, et sur les obligations infinies qu'ils ont tous à ce maître plein de bonté.Seigneur, tu m'as donné l'être,
Que lui sert un vain
mystère!
S'il se cache, tu
le vois;
S'il hésite
ou délibère,
Tu sais d'avance
son choix.
Sous une invisible
flamme,
Dans le conseil
de son âme
Tu descends du haut
des cieux.
Libre il pèse,
il examine,
Avec toi se détermine,
Et n'agit que sous
tes yeux.
Ta science offre
à ta vue
Ses désirs
et ses destins.
Ta main sur nous
étendue
Conduit nos pas
incertains.
J'ouvre à
peine la paupière,
Qu'un rayon de ta
lumière
M'éblouit
de toutes parts;
Et ta vaste intelligence
Est pour nous un
gouffre immense,
Où se perdent
nos regards.
Où fuir! où
cacher ma course
Au Dieu vivant qui
me suit?
Il fond les glaces
de l'ourse,
Il brille au sein
de la nuit.
Si des airs perçant
les routes (Note 2),
Je monte aux célestes
voûtes,
Ce Dieu puissant
s'offre à moi;
Des régions
du tonnerre
Si je descends sous
la terre,
C'est encor lui
que j'y vois.
Quand des ailes de
l'aurore
J'emprunterais le
secours,
Et qu'aux mers du
peuple more
J'irais terminer
mon cours:
Dans ma fuite vagabonde,
Ce serait lui qui
sur l'onde
Me conduirait jusqu'au
port;
Et sa puissance
éternelle
Dans ma demeure
nouvelle
Réglerait
toujours mon sort.
Je croyais que la
nuit sombre
Me dérobait
à ses yeux,
Mes plaisirs cachés
dans l'ombre
Etaient vus du sein
des cieux.
Apprenez à
le connaître,
Mortels, ce terrible
maître
Qui veille quand
vous dormez.
Esprits faibles,
coeurs profanes,
Jugez-vous par vos
organes
Du Dieu qui les
a formés?
Devant lui l'abîme
s'ouvre,
De ses rayons éclairé:
Le voile obscur
qui nous couvre
Sous ses pas est
déchiré.
L'ombre fuit quand
il l'ordonne;
Les objets qu'elle
environne,
Son oeil les distingue
tous:
La nuit la plus
ténébreuse
Est pour lui plus
lumineuse
Que le jour ne l'est
pour nous.
Créateur de
tous les êtres,
Dans ton amour paternel,
Pour nous former
tu pénètres
L'ombre du sein
maternel.
Là d'une
main sage et sûre,
Tu dessines la structure
De tous nos membres
divers;
Ton souffle ennoblit
la fange
Qui compose le mélange
De mes os et de
mes chairs.
Chaque jour accroît
la force
De leur tissu merveilleux;
La peau qui leur
sert d'écorce,
Se développe
autour d'eux.
Tu vois toutes ces
parties,
L'une avec l'autre
assorties,
Obéir à
ton décret;
Et d'un informe
assemblage,
Résulte à
la fin l'ouvrage
Dont toi seul as
le secret.
Tu fais ta plus douce
gloire
Du bonheur de tes
amis;
Dans les champs
de la victoire
Toi-même les
affermis.
Bientôt leur
race innombrable
Surpasse les grains
de sable
Qui couvrent le
bord des mers;
Et ses diverses
frontières
S'étendent
jusqu'aux barrières
Qui terminent l'univers.
De tant de bontés
frappée
Mon âme s'attache
à toi.
Mais quand ta brûlante
épée
Glace les pécheurs
d'effroi:
Plein de zèle
je m'écrie,
"Troupe aux meurtres
aguerrie,
Osez dire désormais:
Seigneur, vos peuples
serviles
Occupent en vain
les villes
Qu'ils tiennent
de vos bienfaits".
Ces monstres qui
te haïssent,
Que je les hais,
ô mon Dieu!
Ils m'insultent,
me trahissent,
Et m'accablent en
tout lieu.
Juge-nous; punis
leur trame,
Et si tu vois que
mon âme
Suive encor l'iniquité,
Conduis sa marche
incertaine
Dans la route qui
nous mène
A l'heureuse éternité.
Note 2: Je ne puis me refuser, en passant, une remarque
assez importante sur cet endroit. Cette image qui exprime si grandement
et d'une manière inconnue aux poètes profanes la puissance
et l'immensité de Dieu se trouve en entier et presque dans les mêmes
termes au livre dixième des Lois de Platon. Pour juger mieux de
la ressemblance, il faut citer le texte sacré, comme il a été
traduit par les Septante.
Lisons à présent Platon.
Texte XVIII.1: 1751: y fait voir clairement
que
ODE XIX
Tirée des Psaumes XIII, XXXVI, XLVIII, LII, du Livre de la Sagesse, et d'autres Livres de l'Ecriture.
ARGUMENT
L'incrédulité vient du coeur. On est corrompu avant que d'être impie. Mala doctrina deserenti viam vitae. Quand on s'est étourdi sur les dangers de l'autre vie, on ne pense qu'à se rendre heureux dans celle-ci. Plus on renonce aux biens éternels, plus on s'abandonne aux plaisirs des sens, à l'ambition, à la cupidité. De là l'effroyable corruption des hommes, l'insolence les riches et des grands, l'oppression des pauvres et des petits. Point de moeurs sans religion. Point d'humanité ni de justice sans moeurs.
Dieu n'est point, dit l'impie, il n'est point, et
la terre
Adore un être nul, par la peur encensé;
La peur forgea son maître au seul bruit d'un tonnerre
Qu'il n'a
jamais lancé.
A ce cri de révolte, à ce cri de démence,
Dieu jette sur la terre un regard de douleur:
Il la parcourt, il cherche un reste de prudence.
Et ne trouve
qu'erreur.
Il ne trouve qu'ingrats, armés contre leur père;
Mais dans ces noirs accès d'un siècle malheureux,
Ce n'est point la raison, c'est le coeur qui profère
Ces blasphèmes
affreux.
Telle est du vice impur la puissance empestée,
Des moeurs, de la vertu Dieu venge ainsi l'affront.
La doctrine à son tour est bientôt infectée
Quand le coeur
se corrompt. (Note 3)
Il ne supporte plus les reproches terribles (Note
4)
Dont il est foudroyé par la divine loi,
Et cherche à surmonter par des transports horribles
Les remords
et l'effroi.
Des bras du Créateur il tombe au sein des vices.
L'ardente soif de l'or, l'amour des voluptés,
Le désir des honneurs, ses penchants, ses caprices
Sont ses divinités.
Méprisons, dira-t-il, les pleurs des misérables,
Persécutons la veuve, opprimons l'orphelin,
Et dans les maux publics prodiguons sur nos tables
Les parfums
et le vin.
Le vice et la vertu sont des noms arbitraires;
Le plaisir, l'intérêt, la force fait nos
droits.
Laissons aux malheureux, laissons aux coeurs vulgaires
Les autels
et les lois.
Quand la mort l'a frappé que reste-t-il de l'homme?
Notre esprit est un souffle, et le temps une fleur.
Que ce temps précieux dans les jeux se consomme,
Et mourons
sans douleur.
Tu mourras en effet, mais non comme tu penses;
Ce souffle prétendu survit à ton trépas.
C'est une âme immortelle, et le Dieu des vengeances
Ne l'anéantit
pas.
Le frère alors n'est point racheté par le
frère;
L'homme ne peut pour l'homme obtenir de faveur.
Le tribunal du ciel ne met point à l'enchère
Les arrêts
du Seigneur.
Homme épris de toi-même, enflé de
ta fortune,
Te crois-tu dans ta vie exempt des coups du sort?
Crois-tu dans ce haut rang, malgré la loi commune,
T'affranchir
de la mort?
Tout meurt. Le fou, le sage également périssent;
Au faîte des honneurs l'impie est parvenu:
Sa race disparaît, et ses biens enrichissent
Un mortel
inconnu.
Il pensait dans son coeur que jusqu'aux derniers âges
Ses palais par le temps ne seraient point frappés;
Il nommait de son nom les vastes héritages
Qu'il avait
usurpés.
L'ambitieux s'abuse, et jamais n'examine
Où menent les grandeurs, où finira leur
cours.
Il vit comme la brute, et comme elle il termine
Ses désirs
et ses jours.
Ne murmurez donc pas quand un riche s'élève;
Tout seconde, il est vrai, ses orgueilleux efforts.
Mais qu'importe? attendez que sa course s'achève
Et prononcez
alors.
Ces titres si pompeux qui vivront dans l'histoire,
Ses biens le suivront-ils au-delà du trépas?
Non: rien ne l'accompagne; il expire, et sa gloire
S'éclipse
entre ses bras.
Sous sa fortune illustre un peuple entier se range,
Du respect des humains son âme se nourrit:
Il aime ses flatteurs; que dis-je? leur louange
Est tout ce
qu'il chérit.
De lui seul occupé, plongé dans l'abondance,
Il se repaît de voeux, de projets superflus.
Encor quelques moments, et de son existence
Les traces
ne sont plus.
En contemplant le juste et sa cause éprouvée,
Il grince en vain des dents, il frémit nuit et
jour.
Inutiles transports! son heure est arrivée,
Et Dieu rit
à son tour.
Il rit du désespoir où ce monstre se noie.
Que fera-t-il enfin, cet insigne pécheur?
Les dards qu'il aiguisait, le glaive qu'il déploie,
Percent son
propre coeur.
Dans ses sanglantes mains l'arc éclate et se brise.
Sa chute sert d'exemple aux mortels effrayés:
L'innocent qu'il poursuit, le pauvre qu'il méprise
Le foulent
à leurs pieds.
Les remords, les revers sont la suite cruelle
Des trésors que l'impie entasse en ses palais;
La médiocrité voit régner autour
d'elle
Le bonheur
et la paix.
Honneurs, biens passagers, vous êtes le partage
Des grands, du publicain lâche et voluptueux.
Héritage éternel, tu seras l'apanage
Du pauvre
vertueux.
La pauvreté du juste est un trésor durable
Qui devient, quand il meurt, son plus solide appui.
La dépouille du riche est un bien périssable
Qui parle
contre lui.
Ainsi dans l'innocence et l'exacte justice
Fortifions notre âme, affermissons nos pas.
Que le succès du crime et le bonheur du vice
Ne vous affligent
pas.
Laissons les cours des rois dans l'ivresse assoupies
Voir les malheurs publics d'un oeil indifférent;
Laissons aux grands du siècle, aux tyrans, aux
impies
Leur triomphe
apparent.
De ces heureux mondains voyez l'heure dernière;
L'effroi, le désespoir annoncent leur destin.
La paix conduit le juste au bout de sa carrière,
Et couronne
sa fin.
Seigneur, ton jour viendra pour ceux qui te maudissent;
Le leur sera passé sans espoir de retour.
Ton jour viendra, Seigneur, pour ceux qui te bénissent,
Et ce sera
leur jour.
Note 3: Doctrina mala deserenti viam vitae. Prov. XV, 10
Note 4: Qui increpationes odit, morietur. Ibid.
Edited by Renée J. Mindek and Theodore E. D. Braun
Last Updated: 26 September 2001