fin du poème

PROPHÉTIE  D'ÉZÉCHIEL
CH. XXIII, v. 2

Fili hominis, duœ mulieres filiœ matris unius fuerunt.

ARGUMENT

Le Seigneur reproche à ses deux épouses leur idolâtrie et leur prostitution.  Il les désigne sous des noms Hébreux qu'il n'y avait pas moyen de conserver dans notre langue ; mais comme il s'agit de Samarie et de Jérusalem, je les ai nommés partout de leurs véritables noms.
 

Écoutez, fils de l'homme : une mère eut deux filles,
Pour donner au Seigneur de nombreuses familles
Dans la fleur de leurs ans je les unis à moi.
Des enfants me sont nés de ce couple volage ;
Et de notre union cette légitime gage
N'a pu me conserver leur amour ni leur foi.

Des vains amusements école enchanteresse,
L'Egypte  avait  d'abord corrompu leur jeunesse,
Et d'un sexe fragile empoisonné les mœurs.
Je fus souvent témoin de l'excès de leurs vices ;
Mon amour essuya des affronts, des caprices,
Mais je leur pardonnai ces premières erreurs.

Jérusalem est l'une, et l'autre est Samarie.
Celle-ci dont les goûts se changeaient en furie,
Par ses impuretés me provoquait toujours.
Je la vis, sur mon trône au crime abandonnée.
Jeunes assyriens, troupe au luxe adonnée,
Vous fûtes les objets des ses lâches amours.

D'un peuple efféminé les diverses parures,
Les riches vêtements, les coursières, les armures
De cette indigne épouse ont ébloui les yeux.
Esclaves des amants qui régnaient sur sa vie,
Elle a prostitué dans sa double infamie
Son corps à leurs désirs, et son âme à leurs dieux.

D'impudiques transports et d'horreurs enivrée,
A ceux qu'elle adorait enfin je l'ai livrée,
Et mes propres rivaux ont bien vengé mes droits.
De son ignominie ils ont rempli la terre;
Ses filles et ses fils, par le sort de la guerre,
Ont vécu sous le joug d'impitoyables rois.

Expirante elle-même au milieu du carnage,
Elle a de ses amants connus toute la rage,
Jouet de leur fureur et de leur volupté.
Sa disgrâce éclatante  instruira ses semblables.
Tels sont leurs châtiments ; tel est, femmes coupables,
Le prix que je réserve à l'infidélité.

Jérusalem sa sœur, encore plus criminelle,
Malgré ce triste exemple, a signalé comme elle
De l'amour adultère et la honte et le feu :
Comme elle aux étrangers, aux fils de Babylone,
Elle a livré son temple, et son lit et son trône,
Son peuple et ses enfants, son époux et son dieu.

Ces deux perfides sœurs, l'une à l'autre fatales,
Dans leurs dérèglements imprudentes rivales,
Ont eu  la même audace et le même succès.
Elles ont mis leurs vœux, leurs appâts à l'enchère.
Jérusalem si belle, et qui me fut si chère,
A vaincue Samarie en ses plus grands excès.

Tout servait d'aliment à ses fureurs impures.
Sur ses lambris dorés les plus vives peintures
De jeunes Caldéens représentaient  les traits.
De leur beauté guerrière aussitôt enflammée,
A ces fils de Babel qui l'avaient tant charmée,
Par des Ambassadeurs elle offrit ses attraits.

Ils viennent à sa voix, s'emparent de sa couche ;
Il n'est point de pudeur, de devoir qui la touche,
Le crime ardent, le crime est lui seul écouté.
Mais de don nouveau choix bientôt elle se lasse ;
De leurs charmes trompeurs l'impression s'efface,
Et de ces vils amants son cœur s'est dégoûté.

Elle avait toutefois pour ranimer ses flammes,
Dans les embrassements de ces mortels infâmes
Par de honteux efforts irrité ses désirs.
A servir ses penchants industrieux et prompts,
Elle avait épuisé sans remords et sans honte,
La science du vice, et tout l'art des plaisirs.

Aux serments les plus saints que d'atteints cruelles !
Tant d'outrages passés, tant d'insultes nouvelles
Ont enfin dans mon cœur étouffé mon amour.
Elle a trop abusé de ma longue indulgence ;
Il est temps qu'elle éprouve une juste vengeance,
J'avais quitté sa sœur, je la quitte à son tour.

     Jérusalem, ô mon épouse,
     Hélas ! à quoi me réduis-tu !
     Tu connais ma fureur jalouse,
     Je me fiais à ta vertu.
     Par l'Egypte et l'idolâtrie
     Ta virginité fut flétrie
     Dans l'essor de tes jeunes ans ;
     Et maintenant dans la Judée,
     Babel, Assur, et la Caldée
     Contre toi mènent leurs enfants.

     Tu les aimais : à ton ivresse
     Succéda la satiété.
     Leurs mains puniront ta faiblesse,
     Tes dégoûts, ton impiété.
     Quel triste appareil te menace !
     Vois ces chefs tout bouillants d'audace,
     Ces soldats, ces fougueux coursiers,
     Ces machines qui t'environnent,
     Ces chars, et ces faux qui moissonnait
     Les rangs, les bataillons entiers.

     Pour te condamner au supplice
     Je leur ai confié mes droits.
     Ces ministres de ma justice
     Tu jugeront suivant leurs lois.
     Ton corps en proie à leurs injures,
     Sera par d'indignes blessures
     Inhumainement mutilé ;
     Et pour finir ton sort étrange,
     De tes membres couverts de fange,
     Le reste affreux sera brûlé.

     Pâle, sanglante et déchirée,
     Tu n'offriras que des lambeaux
     A ceux qui t'avaient admirée
     Sous tes vêtements les plus beaux.
     Ces amants, jadis tes idoles,
     Trompés par tes fausses paroles
     S'applaudiront de tes revers.
     Par eux tes filles enchaînées
     Loin de toi seront entraînées
     Avec tes fils chargés de fers.

     Tes disgrâces seront égales
     Au désordre de tes amours.
     De tes innombrables scandales
     Ainsi j'arrêterai  le cours.
     Malheureuse ! ton cœur rebelle
     Ne cessera d'être infidèle
     Qu'au milieu des afflictions.
     L'Egypte alors avec ses temples,
     Ne pourra plus par ses exemples
     Nourrir tes folles passions.

     Mais ne pense pas qu'oubliées
     Parmi tant d'autres faits divers,
     Elles en soient moins publiées
     Dans l'histoire de l'univers.
     Ennemis, nations amies,
     Tous sauront de tes infamies
     L'emportement  illimité;
     Et dans ta puissance abattue,
     La main du Seigneur perpétue
     Ta honteuse célébrité.

     Dans tes crimes opiniâtre,
     Femme au cœur bas et corrompu,
     Tu boiras avec l'idolâtre
     Dans la coupe où ta sœur a bu :
     Coupe effroyable et toujours pleine,
     Vase profond où de ma haine
     Couleront les flots écumants ;
     Tu la boiras jusqu'à la lie,
     Et je la vois qui multiplie
     Tes insupportables tourments.

     C'est peu que ta douleur farouche
     De ce vase épuise les eaux;
     Tu le briseras dans ta bouche
     Pour en dévorer les morceaux.
     Tes mains contre toi-même armées
     Déchireront ton propre sein :
     Effets des rigueurs légitimes
     Qui te puniront de tes crimes
     Par des maux sans borne et sans fin.

Achevez, fils de l'Homme, achevez  mes vengeances ;
De ces coupables sœurs publiez les offenses,
Que le bras de la mort commence à les saisir :
Monstres qui se faisaient, pour braver ma colère,
        Un jeu de l'adultère,
        Et du meurtre un plaisir.

D'un culte réprouvé prêtresses détestables,
Ces femmes ont offert à des dieux exécrables
Les enfants que pour moi leurs flancs avaient conçus.
Elles ont présenté ces victimes tremblantes,
        Et dans ses mains brûlantes
        Moloch les a reçus.

Tandis qu'ils expiraient dans des feux sacrilèges,
Leurs mères, au mépris des plus saints privilèges,
Violaient le repos de mes jours solennels ;
Et portaient sans effroi jusqu'en mon sanctuaire
        Leur cri tumultueux
        Et leurs jeux criminels.

Tu t'abreuvais, barbare, et de sang et de larmes,
Et dans le même instant tu préparais tes charmes
Pour les jeunes mortels dans ta cour appelés,
Les parfums précieux dont on me doit l'hommage,
        Déjà pour ton usage
        Dans tes bains sont mêlés.

Du fard le plus exquis les couleurs t'embellissent ;
Les danses, les festins pour te charmer s'unissent,
Ton palais retentit des plus tendres accents.
A prévenir tes vœux tout s'empresse et s'anime ;
        De toutes parts le crime
        S'empare de tes sens.

En est-ce encore assez, courtisane indocile ?
Veux-tu vieillir ainsi ? Veux-tu que ton asile
Soit l'éternel séjour de l'impudicité ?
Hommes justes, venez, soyez inexorables ;
        Vengez sur ces coupables
        Un époux irrité.

Peuples et nations, assemblez-vous contr'elles ;
Effacez dans leur sang des ardeurs criminelles,
Le meurtre, l'adultère et tant d'autres forfaits.
Déchirez, écrasez leurs fils avec leurs filles,
        Détruisez leurs familles,
        Embrasez leurs palais.

Tant d'horreurs à la fin se verront expiées.
Par ces coups éclatants les femmes effrayées
Apprendront à garder mon culte et leur honneur.
Elles sauront du moins que c'est moi seul qui tonne,
        Qui punis, qui pardonne,
        Et qui suis le Seigneur.

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