PROPHÉTIE D'ÉZÉCHIEL
CH. XVI, v. 3
Radix tua et generatio tua de terrâ Chanaan.
Cette prophétie et la suivante
sont très singulières. Le Seigneur y paraît sous
la figure d'un époux qui reproche à son épouse d'horribles
infidélités. Ces accusations portent également
sur l'adultère et sur l'idolâtrie. Rien de plus véhément
ni de plus passionné. L'amour s'y joint à la
jalousie, à la menace, à la fureur; mais les excès
de la prostitution y sont peints de couleurs si naturelles et si fortes,
que j'ai cru devoir par respect pour le texte sacré, adoucir quelquefois
les images et les expressions. De plus, comme ces deux prophéties
roulent sur le même objet, et se ressemblent en plusieurs endroits,
je n'ai traduit littéralement que la XXIIIe. J'ai fort élagué
celle-ci, sans m'écarter cependant du texte. J'abrège;
mais je traduis.
O
Femme, tu naquis d'une famille impure,
D'infidèles parents qui trahissaient mes lois.
L'art d'une habile main n'aida point la nature
Lorsque tu vis le jour pour la première fois.
Ni les eaux, ni le sel ne t'ont purifiée
;
Ta mère avec regret te porta dans son flanc,
On te mit sur la terre, où tu fus oubliée ;
J'approchai : tu pleurais, tu nageais dans ton sang.
J'en arrêtai le cours, je l'essuyai
moi-même ;
Mon cœur fut attendri de ta misère extrême ;
Et je te dis : Vivez, vivez trop faible enfant ;
Sous l'aile du Seigneur dont le bras vous défend,
Croissez et méritez qu'un tendre époux vous aime.
J'ai depuis ce moment veillé sur
tes destins.
Objet de mes désirs, sous mes yeux élevée,
Mes regards paternels, mes soins t'ont cultivée
Comme une jeune fleur qui croît dans les jardins.
Ton corps fortifié par les progrès
de l'âge,
Atteignit ces beaux jours où ton sexe volage
De ses charmes naissants connaît trop le pouvoir ;
Que les tiens étaient doux ! Que j'aimais à les
voir !
Nul mortel cependant ne cherchait
à te plaire.
Rebut de l'univers, tu ne trouvas que moi
Qui vis avec pitié ta douleur solitaire.
Ton maître, ton Seigneur se déclara pour toi ;
Tu reçus mes serments, et j'acceptai ta foi.
O qu'alors avec complaisance
Je te prodiguai mes bienfaits !
Qu'avec pompe et magnificence
Je pris soin d'orner tes attraits !
J'instruisis ta faible jeunesse ;
Des gages purs de ma tendresse
Je t'embellissais chaque jour.
Je te donnai mon héritage,
Et tu possédas sans partage,
Mes richesses et mon amour.
L'éclat célèbre
de tes charmes
Amena la terre à tes pieds.
A ton char, vaincu par tes armes,
De puissants Rois furent liés.
Tu mis alors ta confiance
Dans les appas et la puissance
Que tu devais à ma bonté.
Tu conçus une folle joie,
Et l'orgueil dont tu fus la proie,
Surpassa même ta beauté.
Cet orgueil engendra
tes vices,
Il alluma tes passions.
Tu recherchas dans tes caprices
Les esclaves des nations.
Dans tes honteuses perfidies,
Sur les femmes les plus hardies
Tu l'emportas par ta noirceur ;
Et les excès les plus coupables
De tes amours abominables
N'égaleront jamais l'horreur.
Tu dressas de superbes
tentes
Dans les bois et sur les hauts lieux.
Là par des fêtes éclatantes
Tu rendis hommage aux faux dieux.
Leurs autels que tes mains ornèrent,
De mon or qu'elles profanèrent
Impunément furent couverts.
Pour leur consacrer des prémices,
Tu dépouillais mes sacrifices
Des tributs qui m'étaient offerts.
Mais d'offrandes plus
criminelles
Ces premiers dons furent suivis.
Tes mains, oui, tes mains maternelles
Ont immolé tes propres fils.
Sans loi, sans pitié, sans tendresse,
De Baal sanglante Prêtresse,
Tu déshonorais nos liens.
O coups réservés à tes crimes
!
Ces enfants choisis pour victimes,
Barbare, étaient aussi les miens.
Ma sévérité
toujours lente
N'a point éveillé tes remords
Tu quittes, transfuge insolente,
Le Dieu vivant pour des dieux morts,
Quoi donc ! Oublîras-tu, perfide,
Femme ingrate, mère homicide,
Que je t'arrachai du tombeau,
Et te sauvai par ma puissance
Des opprobres de ton enfance,
Et des douleurs de ton berceau ?
Malheur à toi,
qui faisais gloire
De tes attentats furieux,
Dont tu conserves la mémoire
Dans des monuments odieux.
Sur les marbres de tes portiques
De tes iniquités publiques
J'ai vu les symboles impurs;
Et les nations étrangères
Ont lu dans ces vils caractères
Ta honte écrite sur tes murs.
Mais le jour lui où
ma vengeance
Ne suspendra plus son transport.
Je t'abandonne à l'indigence,
A l'ignominie, à la mort.
Je susciterai pour ta peine,
Ces femmes, objets de ta haine,
Les épouses des Philistins,
Qui moins que toi licencieuses,
De tes amours audacieuses,
Rougissaient avec tes voisins.
Dans l'art de plaire
et de séduire
Tu vantais tes lâches succès.
Ton cœur, que je n'ai pu réduire,
Inventait de nouveaux excès.
Tu rassemblais les Ammonites,
Les Caldéens, les Moabites,
Les voluptueux Syriens ;
Et toujours plus insatiable,
Tu fis un commerce effroyable
De tes plaisirs et de tes biens.
D'autres reçoivent
des largesses
Pour prix de leurs égarements ;
Mais toi, tu livras tes richesses
Pour récompenser tes amants.
Tu laissais aux femmes vulgaires
L'honneur d'obtenir des salaires
Qui d'opprobre couvraient leur front.
Pour mieux surpasser tes rivales,
Tes tendresses plus libérales
Achetaient le crime et l'affront.
Voici donc ton arrêt : Femme
parjure, écoute.
Pour suivre des méchants la détestable route,
Tu quittas les sentiers que j'avais faits pour toi.
Ton audace adultère, et ton idolâtrie
Ont souillé mon autel, corrompu ta patrie,
Egorgé tes enfants et renversé ma loi.
Tu vécus sans remords dans tes
mœurs dépravées.
Mes rigueurs que ton âme a si longtemps bravées,
A tes forfaits sans nombre égaleront tes maux.
Pour épuiser sur toi les plus cruels supplices,
Tes propres alliés, tes amants, tes complices
Deviendront mes vengeurs et seront tes bourreaux.
Les peuples apprendront cet exemple sévère.
Alors j'apaiserai ma trop juste colère,
Ta mort rendra le calme au cœur de ton époux.
Il aura satisfait sa vengeance et sa gloire,
Et tes crimes éteints, ainsi que ta mémoire,
Ne seront plus l'objet de ses regards jaloux.
Tu n'as point démenti l'horreur
de ta naissance ;
Tes vices ont paru dès ta plus tendre enfance :
La fille suit les pas que la mère a tracés.
Tu fus sœur de tes sœurs, impudique comme elles ;
Et des femmes d'Ammon, au vrai Dieu tant rebelles,
Les crimes par les tiens ont été surpassés.
Ton sang a réuni les plus indignes
races,
Pères, mères, aïeux que bravaient mes menaces,
Et dont tu vois encore les durables malheurs.
Contre toi jusqu'au ciel leur voix s'élève et crie ;
Pour tout dire, en un mot, Sodome et Samarie
Trouvent dans tes forfaits une excuse des leurs.
De Sodome si détestée
Tu n'osais proférer le nom.
Sais-tu quels fléaux l'ont jetée
Dans ce déplorable abandon ?
De l'orgueil l'insultante ivresse,
L'intempérance, la mollesse,
Le luxe et la cupidité,
Le dur mépris qu'à l'indigence
Oppose l'altière opulence
Qu'accompagne l'oisiveté.
Triste esclave des
mêmes vices,
Tu commis d'autres attentats,
Des cruautés, des injustices
Que Sodome ne connut pas.
Et toutefois je l'ai détruite ;
Comme elle tu seras réduite
Aux dernières calamités.
C'est toi qui m'outrages, me blesses ;
Tu n'as pas gardé tes promesses,
Et j'ai rompu tous nos traités.
Mais qui dis-je ! Un
sentiment tendre
Me parle encore en ta faveur
Ah! que ne dois-tu pas attendre
De la pitié d'un Dieu Saveur !
Dans leurs demeures fortunées
Tes sœurs, tes filles ramenées
Couleront des jours triomphants.
Je te rendrai ma confiance,
Et dans ma nouvelle alliance
Vous serez toutes mes enfants.