MALHEUREUX, où t'entraîne
un penchant criminel?
Dans des vases dorés
il t'abreuve de fiel.
Apprends mieux à
connaître une femme adultère ; (1)
Le fer est moins tranchant
(2)
, l'absinthe est moins amère.
Tu livres dans ses mains
ton honneur et ton sort ;
Tu languis à ses
pieds, ils mènent à la mort : (3)
C'est le terme où
conduit une indigne tendresse.
Je plaindrais moins ton
cœur dans sa lâche faiblesse,
Si de tes citoyens défiant
le mépris,
Pour une courtisane il se
montrait épris.
En proie à des amants
illustres ou vulgaires,
Elle n'offre à leurs
feux que des feux mercenaires ;
Mais son crime se borne
à ce honteux profit :
La soif du gain l'enflamme,
et ce gain lui suffit. (4)
Il faut d'autres objets
à l'épouse infidèle ;
Devoir, décence,
honneur, rien n'est sacré pour elle.
Dans son âme à
la fois naissent tous les désirs,
Tous les crimes, s'il faut,
servent à ses plaisirs ;
A son ignominie elle joint
l'insolence,
Au seing de la mollesse
assouvit sa vengeance,
En jouit, et d'un front
qui ne pâlit jamais,
En ordonnant des jeux commande
des forfaits.
Je sais, faible
mortel, jouet de ses caprices,
Quel piège t'a conduit
dans ces tristes délices.
Tu n'as pu résister
aux flammes d'un regard, (5)
Aux douceurs de la voix
(6)
, aux prestiges de l'art.
"Approchez, disait-elle,
entrez sous ces portiques. (7)
Admirez ce palais, ces lambris
magnifiques ;
L'Egypte m'a fourni les
tissus précieux, (8)
Dont ces murs sont couverts,
et qui charment les yeux.
Que ces berceaux sont frais,
et que la nuit est belle !
Des fleurs de mes jardins
le parfum vous appelle ;
C'est l'encens du plaisir
et de la volupté. (9)
Entrez, ne quittez plus
cet asile enchanté : (10)
Mon époux est absent
(11)
; peu touché de mes peines,
Il me fuit, il parcourt
des régions lointaines,
Il me force, l'ingrat ..."
A ce discours trompeur
L'amour blesse, attendrit
et dévore ton cœur. (12)
Et tu ne sais donc pas que
pour le même usage
Plus d'une fois sa bouche
employa de langage ;
Que d'autres avant toi,
tombés à ses genoux, (13)
Ont goûté ses
faveurs, éprouvé ses dégoûts ;
Que si le plus doux miel
de sa bouche distille ,
L'atteinte du poison n'en
est que plus subtile ;
Qu'elle brille à
tes yeux d'un éclat emprunté ,
Que tout est faux en elle,
et même sa beauté.
Ah ! brise enfin tes nœuds,
et sors du précipice. (14)
Et toi, mon
fils (15 ), et toi qu'au sein de la justice
J'ai pris soin d'élever
dans la loi du Seigneur,
Toi que j'ai tant instruit
des devoirs de l'honneur,
De ce lâche mortel
ne suis jamais l'exemple ;
Ton corps, du Dieu vivant
est l'ouvrage et le temple.
Crains, si tu n'es docile
à mes conseils secrets,
Qu'ils n'augmentent un jour
ta honte et tes regrets, (16)
Et que du désespoir,
fruit impuissant du crime,
Dans tes derniers moments
tu ne sois la victime.
Eh pourquoi, diras-tu, n'ai-je
point écouté
La voix de mes amis et de
la vérité ? (17)
J'ai fui l'instruction (18)
, j'ai ri de la sagesse ;
J'ai tout sacrifié,
fortune, honneur, jeunesse : (19)
O ciel ! et je n'emporte,
en tombant chez les morts,
Que le vain repentir, l'opprobre
et les remords.
Non, mon fils,
jouis mieux des beaux jours qui te restent ;
Renonce aux voluptés
que les sages détestent.
Bois des eaux de ta source
(20)
, et ne va point ailleurs,
D'une soif adultère
éteindre les ardeurs.
Le ciel mit dans tes bras
l'épouse la plus pure ; (21)
Elle tient ses attraits
des mains de la nature ;
Son cœur est sans détour,
son esprit est sans fard ;
Elle a le don de plaire,
elle en méprise l'art.
Chaque jour la retrouve
et plus tendre et plus belle.
Telle est dans ses transports
la simple tourterelle.
Satisfais, tu le dois, ses
innocents désirs,
Et ta félicité
naîtra de ses plaisirs. (22)
De guirlandes de fleurs
elle a tissu tes chaînes;
Compagne de ton sort elle
adoucit tes peines :
Tu dors à ses côtés
d'un tranquille sommeil;
Elle est dans les revers
ton appui, ton conseil,
Et dans ce cœur sensible
où le tien se déploie,
Tu verses tes douleurs,
ou tu répands ta joie.
De précieux enfants,
gages de vos amours,
Deviendront le soutien,
le charme de vos jours.
Ils auront la beauté,
les grâces de leur mère;
Ils auront les vertus et
l'âme de leur père;
Et rendus par vos soins
dignes de leurs aïeux,
Quand une mort paisible
aura fermé vos yeux,
Sous des traits, sous des
noms chéris de la patrie,
Ils sauront aux humains
retracer votre vie.
Ainsi finit le sort de deux
tendres époux.
Trop parfaite union dont
les nœuds sont si doux,
Société sacrée
à qui tout rend hommage,
Du céleste bonheur
vous seule êtes l'image :
Vous seule au rang divin
élevez les mortels.
Respecte donc, mon fils,
des nœuds tant solennels;
Qu'ils fassent ici bas et
ta force et ta gloire.
Remporte sur tes sens une
entière victoire.
L'homme a dans ses devoirs
l'objet de tous ses vœux ;
Plus il leur est fidèle,
et plus il est heureux.
La vertu fut toujours la
volupté suprême.
Interroge le vice, il te
dira lui-même
Qu'il connut le plaisir,
mais jamais le bonheur :
Il n'en est point, mon fils,
pour qui vit sans honneur.
2) Mais la fin en est amère comme l'absinthe, et perçante comme une épée à deux tranchants. Ibid. v. 4.
3) Ses pieds descendent dans la mort ; ses pas s'enfoncent jusqu'aux enfers. Ibid. v. 5.
4) Le crime de la courtisane est à peine d'un seul pain ; mais la femme adultère captive l'âme de l'homme, laquelle n'a point de prix. Ch. 6, v. 26.
5) Cette femme vint au-devant de lui parée comme une courtisane, et pleine d'artifices. Ch. 7, v. 10.
6) Elle est causeuse ... et dresse des embûches à chaque coin. Ibid. v. 11,12.
7) Je suis sortie au-devant de vous ; j'ai désiré de vous voir, et je vous trouve. Ibid. v. 15.
8) J'ai orné mon lit de riches couvertures, de courtepointes d'Egypte en broderie. Ibid. v. 16.
9) Je t'ai parfumé de myrrhe, d'aloès et de cinnamome Ibid. v. 17.
10) Venez, enivrons-nous de délices jusqu'au matin ; jouissons des plaisirs de l'amour. Ibid. v. 18.
11) Car le mari n'est point en sa maison, il est en voyage et s'en est allé bien loin. Ibid. v. 19.
12) Elle l'entraîne
ainsi par de grands discours, et le renverse par ses paroles flatteuses.
Ibid. v. 21.
Il la suit ... comme un insensé qu'on enchaîne ... Ibid. v.
22.
13) Car elle en
a blessé et renversé plusieurs, et elle a fait perdre la
vie aux plus forts. Ibid. v. 26.
14) Que votre cœur
ne se laisse point emporter dans les voies de cette femme, et ne vous égarez
point dans ses entiers. Ibid. v. 25.
Le chemin de sa maison est le chemin de l'enfer, et il pénètre
jusqu'au séjour de la mort. Ibid. v. 27.
15) Maintenant donc, mes enfants, écoutez moi : rendez-vous attentifs aux paroles de ma bouche. Ibid. v. 24.
16) Eloignez votre voie de cette femme ... de peur ... que vous ne soupiriez enfin quand vous aurez consumé vos forces et votre corps. Ch. 5, v. 8, 9, 11.
17) Et que vous ne disiez : comment ai-je haï l'instruction ? Comment mon cœur a-t-il méprisé les remontrances qu'on m'a faites ? Ibid. v. 12.
18) Pourquoi n'ai-je point écouté la voix de ceux qui m'enseignaient, ni prêté l'oreille à mes maîtres ? Ibid. v. 13.
19) J'ai été en peu de temps plongé dans toutes sortes de maux, au milieu de l'assemblée et de l'Eglise de Dieu. Ibid. v. 14.
20) Buvez de l'eau de votre citerne, et des ruisseaux de votre fontaine. Ibid. v. 15.
21) ...Ne goûtez de joie qu'avec la femme que vous avez épousée dans votre jeunesse. Ibid. v. 18.
22)
Comme une biche très chère, et comme une chevrette très
agréable : que sa compagnie vous suffise en tout temps; et que son
amour soit toujours votre joie. Ibid. v. 19.