Les Tombeaux (1)

Mirabeau, 1743

Livre III, Ode V (Edition de 1784)


L'autre jour sans inquiétude
Respirant la fraîcheur de l'air,
J'errais dans une solitude
Sur le rivage de la mer.

J'aperçus de loin des statues,
De vieux débris d'arcs triomphaux,
Et des colonnes abattues;
J'approchai: je vis des tombeaux.

C'était d'abord le mausolée
D'un de ces conquérants vantés,
Par qui la terre désolée
Vit détruire champs et cités.

On y voyait trente batailles,
Des rois, des peuples mis aux fers,
Des triomphes, des funérailles.
Et les tributs de l'univers.

Au pied de deux cyprès antiques
Un monument plus grâcieux,
Par ses ornements symboliques,
Attirait l'oeil du curieux.

C'était la tombe d'un poète
Admiré dans le monde entier.
Le luth, la lyre et la trompette
Pendaient aux branches d'un laurier.

Tout auprès en humble posture
Un pêcheur était enterré ;
Un filet pour toute parure
Couvrait son cercueil délabré.

Ah ! dis-je, quel sort déplorable !
Cet objet aux passants offert
Leur apprend que le misérable
A moins vécu qu'il n'a souffert.

Et pourquoi, reprit en colère
Un voyageur qui m'entendit?
La pêche avait l'art de lui plaire :
C'était son métier, il le fit.

Tu vois par là ce que nous sommes ;
Le poète fait des chansons,
Le guerrier massacre des hommes,
Et le pêcheur prend des poissons.


NOTES

1. L'idée de ces stances a été prise de deux vers attribués à Sapho:
 
 


Last updated 1 April 2003