gravure de l'édition 1763

POESIES SACREES
LIVRE SECOND

CANTIQUES

Cantiques I - VI
Cantiques VII - XIII
Cantiques XIV - XX


 

CANTIQUE DE MOÏSE

Après le passage de la mer rouge
I (1751: I)
Cantemus Domino, gloriosè enim magnificatus est. Exod. cap. XV.  (Texte I.1)
ARGUMENT
Ce cantique appartient de droit à la poésie. Il est en vers dans le texte hébreu; et ce sont les plus anciens que l’on connaisse. Joseph, sur la fin du livre second de ses Antiquités, assure, que ce sont des vers hexamètres; ce qui semble confirmé par l'autorité de saint Jérôme, juge compétent dans cette matière. M. Hersan, Profésseurau collège du Plessis, a expliqué ce poème selon lesregles de la Rhétorique. On peut consulter sa versionet son commentaire dans le second tome du Traité des Études, par M. Rollin. Je m’en suis servi, autant que me l’ont permis la gêne et les écarts de la Poésie (Texte I.2)
  Je chanterai le Seigneur,
  Je chanterai sa puissance;
  Par une illustre vengeance
  Il signale sa grandeur.
  Contre son ordre suprême,
  Contre le peuple qu'il aime
  L'Egypte en vain combattait:
  Il en triomphe, il foudroie
  Le cavalier qui se noie
  Sous le coursier qu'il montait

  Son bras quand la mort m'assiège
  Est ma force et mon salut;
  Jamais sur ceux qu'il protège
  L'ennemi ne prévalut.
  Seul objet de sa tendresse,
  Je célébrerai sans cesse
  Mon invincible soutien,
  Avec lui tout me prospère,
  Il fut le Dieu de mon père,
  Il sera toujours le mien.

Jehova s'est montré comme un guerrier terrible.
Il ouvre dans les flots une route paisible
  Aux peuples dont il est servi;
Et dans ces mêmes flots, ouverts pour notre suite,
  Sa voix renverse et précipite
Le char de Pharaon, les chefs qui l'ont suivi.

La mer alors, la mer qui baigne leur empire,
  De toutes parts les investit;
  Son propre roi qu'elle engloutit,
Disparait dans l'abyme où sa fureur expire.
J'ai vu chefs et soldats, coursiers, armes, drapeaux
  Au bruit des vents et du tonnerre,
  Comme le métal ou la pierre,
Tomber, s'ensevelir dans le gouffre des eaux.

Ta droite a signalé sa force inépuisable,
Seigneur, où sont ces rois contre ta loi durable
      Follement conjurés?
De leur impiété quel sera le salaire?
Je les  cherche: où sont-ils? le feu de ta colère
      Les a tous dévorés.

Ton souffle impétueux a soulevé les ondes;
Il ouvre de la mer les entrailes profondes
      De l'un à  l'autre bord:
Soudain les flots durcis au milieu des abymes,
Forment l'affreux chemin qui conduit tes victims
      Aux portes de la mort.

Notre ennemi disait: je poursuivrai ma proie;
Leur sang, leur propre sang inondera leur voie
      Jusqu'au fond des déserts.
Je les dépouillerai, j'assouvirai ma haine;
Ils étaient sous le joug, ils ont brisé leur chaine,
      Qu'ils rentrent dans mes fers.

  Il le disait. Et leurs blasphèmes
  Sont étouffés au sein des flots.
  Dieu fait retomber sur eux-mêmes
  L'audace de leurs vains complots.
  Grand Dieu, que tu fais de prodiges!
  Ces dieux d'erreurs et de prestiges,
  Ont-ils pu s'égaler à toi!
  Terrible maître des empires,
  Les chants même que tu m'inspires,
  Me pénètrent d'un saint effroi.

  Tu chasses (Texte I.3) la mort et la guerre
  Loin des coeurs qui te sont soumis:
  Tu romps les voûtes de la terre
  Sous les pas de tes ennemis.
  En tous lieux ta main paternelle
  Soutient la nation fidèle
  Que ton bras vient de racheter;
  Et pour couronner ton ouvrage,
  Tu la conduis dans l'héritage
  Que toi-même veux habiter.

  De la Palestine allarmée
  Je vois la rage et la douleur.
  Tous les princes de l'Idumée
  Sont dans le trouble et dans l'horreur.
  Moab quitte ses champs fertiles;
  Ses foldats restent immobiles
  Sous ton glaive victorieux:
  Dans l'effroi mortel qui les glace,
  Seigneur, sur ton peuple qui passe,
  Ils n'oseraieat lever les yeux.

Tes soins l'établiront sur la montagne sainte
Où tu veux élever le trône de ta loi.
Dans ces lieux tant promis, législateur et roi,
De ton riche palais tu fonderas l'enceinte.
L'univers t'y rendra des honneurs éclatants;
Ton règne est éternel, Seigneur, et sa durée,
  Par les âges ni par les temps
  Ne saurait être mesurée.

Pharaon sur son char est entré dans la mer:
Il portait dans ses mains et la flamme et le fer;
Tout un peuple a suivi ce monarque inflexible.
Il s'avance; Dieu tonne, et dans leur chute horrible
Les flots se sont rejoints sur ce peuple cruel.
Mais ils sont devenus une plaine solide
      Sous la marche rapide
      Des enfants d'Israël.

Texte I.1  'Cantemus Domino, gloriosè enim magnificatus est. Exod. cap. xv.' ne se trouve pas dans 1751.

Texte I.2 Je m’en suis servi, autant que me l’ont permis la gêne et les écarts de la Poésie

Texte I.3 1751: fait fuir
 


CANTIQUE DE MOÏSE
 Avant sa mort

II (1751: II)

Audite, Coeli, quœ loquor. Audiat Terra verba oris mei.
 Deuter. cap. XXII.

ARGUMENT

Ce cantique de Moïse fut composé par le commandementexprès de Dieu. Quand les quarante années d'exil dans
le désert furent expirées, le Seigneur dit à Moïse: Voici que le jour de votre mort est proche. Appellez Josué, et
entrez tous deux dans le tabernacle de l'alliance, afin que je lui donne mes ordres. Ils obéirent. Le Seigneur parut dans une colonne de nuées, et leur dicta les principaux traits de l'ouvrage. Il finit en leur disant: Ecrivez donc ce cantique, et apprenez-le aux enfants d'IsraëlQu'ils le retiennent par cœur; qu'ils le chantent sans cesse, et que ce poëme (Carmen) me serve à jamais de témoignage auprès d'eux. Moïse exécuta les ordres de Dieu. Il écrivit ce formidable cantique, et le récita lui-même d'un bout à l'autre en presence de tout Israël. (Texte II.1).

Cieux, terre, écoutez-moi: Jacob, faites silence.
Que mes discours touchants, que ma sainte éloquence
Pénètrent vos esprits, renouvellent vos cœurs;
Comme du haut des airs la féconde rosée,
Ranimant tous les fruits de la terre embrasée
Relève l'herbe tendre, et rafraîchit les fleurs.

Rendez hommage au Dieu que ma voix vous annonce.
Adorez les arrêts que sa bouche prononce:
Le sort de l’univers à ses pieds est écrit.
Tout ce qu'il fait est bien, tout ce qu'il veut est juste.
Fidèle observateur de sa parole auguste,
Il tient ce qu'il promet, faisons ce qu'il prescrit.

De lâches révoltés ont armé sa colère,
Ils furent ses enfants, mais il n'est plus leur père;
Peuple ingrat, peuple vain, sans raison, sans vertu,
Pense donc au néant d'où sa voix te fit naître;
Méconnais-tu ton Dieu, ton protecteur, ton maître?
Sans lui, sans ses bienfaits, parle, que serais-tu?

Parcours l'ordre des ans, des siècles et des ages,
Compte de ses bontés les nombreux témoignages;
Ou si de ta mémoire ils étaient effacés,
Appelle tes ayeux, interroge leur cendre,
Du séjour de la mort leur cri te fait entendre
Qu'ignorés de toi seul par tout ils sont tracés.

Tu n'étais point encor, toi qui lui fais la guerre,
Quand aux murs de Babel il divisait la terre
Entre les nations qu'il séparait de lui.
Mais dès lors pour toi seul marquait les limites
Du pays fortuné d'où les races proscrites
A l'aspect d'Israël s'enfuiront aujourd'hui.

Israël qu'il aimait, Israël qui le brave,
Dans les plaines du Nil n'était q'un peuple esclave,
Qu'un troupeau vagabond sans guide et sans pasteur
Ses yeux l’ont rencontré sur des sables arides,
Dans de vastes déserts, où ces âmes perfides
Osaient même insulter leur divin Créateur.

C'est là qu'il attendait ce peuple trop rebelle,
C'est là que tant de fois sa bonté paternelle
Par d'utiles rigeurs a voulu l'éprouver.
Soulageant ses besoins en punissant ses vices,
Prodigue de secours, avare de supplices,
Son bras ne l'abaissait que pour mieux l'élever.

Comme un aigle au milieu de ses aiglons timides,
Les couvre, les soutient de ses aîles rapides,
Dans les ondes de l'air forme leur vol tremblant:
Tel des fils de Jacob, Dieu conduisait la trace,
Encourageait leur foi, ranimait leur audace,
Et portait devant eux son glaive étincelant.

Bientôt ils entreront dans ces riches asiles
Où parmi les trésors des champs les plus fertiles,
Ils vivront sous un ciel de cristal et d'azur.
Là des fleuves de lait arrosent les campagnes,
Des flots d'huile et de miel descendent des montagnes,
Et la vigne y répand son nectar le plus pur.

Par les mains du Seigneur tirés de l'indigence,
Ils le méconnaîtront au sein de l'abondance,
Et des dieux inconnus ils chercheront l'appui.
Qu'ils redoutent du moins ses vengeances terribles:
De leur culte nouveau, de leurs fêtes horribles
Le bruit tumultueux montera jusqu'à lui.

L'idole est sur l'autel, et les bûchers s'allument,
L'encens brûle à ses pieds, et les fleurs la parfument:
Israël perverti consomme son forfait.
Israël, que fais-tu? Peuple volage, arrête,
Détourne les malheurs que ton crime t'apprête,
Le Dieu que tu détruis, est le Dieu qui t'a fait.

Ce Dieu jaloux a vu leurs lâchetés insignes.
"J'attendrai le succès de leurs complots indignes,
"Et je mettrai, dit-il, un voile entr'eux et moi.
"Ils servent un dieu sourd, un dieu d'or ou de plâtre,
"Et moi j'adopterai (Texte II.2) ce stupide idolâtre,
"Cet étranger impur qu'avait proscrit ma loi.

"Je leur ai préparé ces fournaises brûlantes,
"Ces épais tourbillons de flammes dévorantes
"Que la terre entretient dans ses flancs embrasés;
"Et qui sortis enfin de leur prison profonde,
"Consumeront un jour les ruines du monde
"Dans les gouffres de feu que ma haine a creusés.

"Leurs supplices divers, leurs maux feront ma joie.
"Par la faim desséchés, ils deviendront la proie
"De serpents monstrueux, dans leurs maisons éclos
"J'ai promis pour pâture à l'oiseau de carnage
"Leurs corps défigurés, dont la bête sauvage
"Aura meurtri les chairs et brisé tous les os.

"Un effroi léthargique accablera leurs âmes.
"De féroces vainqueurs égorgeront leurs femmes,
"Leurs filles, leurs vieillards, et leurs tendres enfants.
"Où sont-ils? quel asile est ouvert à ces traîtres?
"Je retire la foi promise à leurs ancêtres,
"Et j'efface leur nom du livre des vivants.

"Mais ma gloire suspend l'effet de ma justice.
"Ma vengeance perdrait le fruit de leur supplice,
"Bientôt leurs ennemis n'en seraient que plus vains.
"Vils ressorts que j'emploie et qu'aussitôt je brise,
"Ces peuples que je hais, ces rois que je méprise,
"Diraient que ma victoire est l'œuvre de leurs mains.

Et quel autre que Dieu, race orgueilleuse et vile,
Devant un seul guerrier en a fait fuir dix mille?
Quel autre t'a livré nos coupables tribus?
Entre tes dieux et lui que Pharaon soit juge:
S'il punit nos forfaits, il est notre refuge:
De tes divinités quels sont les attributs?

Que deviendraient sans lui les trônes de la terre!
Il ordonne la paix, il commande la guerre,
Par lui seul tout s'élève, et tout est renversé.
Le courage, la peur, la force, la faiblesse,
Et l'esprit de vertige et l'auguste sagesse,
Sont des présents de Dieu propice ou courroucé.

Familles d'Israël, quels vices t'ont souillée?
De ta vertu première aujourd'hui dépouillée,
Ton sein ne produit plus que des crimes honteux.
Telle au bord des marais de l'infâme Gomorre
La terre que le souffire empoisonne et dévore,
N'enfante que des fruits amers ou venimeux.

Ton monarque éternel ne cherche qu'à t'absoudre:
Il t'aime, ta douleur peut éteindre sa foudre;
Pleure, gémis, les temps se pressent d'arriver.
Mais le terme est venu des vengeances célestes.
Le Seigneur attendri rassemble enfin les restes
De ce peuple expirant qu'il veut encor sauver.

Me voici, vous dit-il, j'ai pitié de vos crimes.
Où sont ces dieux nourris du sang de vos victimes,
Ces dieux que vous couvrez d'un nuage d'encens?
Autour de vos remparts les torches étincellent,
Sous les coups redoublés vos derniers murs chancellent,
Que font sur vos autels ces bustes impuissants?

Je viens vous soulager du poids de vos misères;
Reconnaissez la voix du pasteur de vos pères,
Rentrez dans le bercail, troupeau que je chéris;
Rentrez: déja la mort de meurtres assouvie
Voit jaillir sous sa faux les sources de la vie,
J'ôte et je rends le jour, je frappe et je guéris.

Je suis le Dieu vivant, j'ai juré par moi-même.
Les barbares tyrans du seul peuple que j'aime
Sont jugés à leur tour, et vont subir leur sort.
C'en est fait, ma fureur au comble est parvenue.
Plus brillant que l'éclair qui partage la nue,
Mon glaive est dans la main des anges de la mort.

Ils frappent et tout meurt. Que de cris! que de larmes!
Mes ennemis troublés jettent au loin leurs armes;
Achevons, vengeons-nous, c'est trop les ménager
Je verrai leurs débris couvrir la terre entière.
Leurs têtes à mes pieds rouler dans la poussière,
Et dans des flots de sang leurs cadavres nager,

Tremblez, prosternez-vous, nations étrangères;
Et vous, chefs d'Israël, conducteurs de vos frères
Au Dieu qui vous défend restez toujours unis.
Juste dispensateur des biens et des disgraces,
Fidèle en ses traités, fidèle en ses menaces,
Il venge ses enfants quand il les a punis.

Texte II.1 (1751)

ARGUMENT

Ce second Cantinque de Moïse est un des plus beaux qui soient dans les Livres Saints, s’il n'est même le plus
beau.  Il fut composé par le commandement exprès de Dieu. Moïse et son frère Aaron avaient été condamné par le
Seigneur, à ne point entrer dans la Terre Promise. Leur crime était la défiance qu’avait témoigné Moïse lorsque les
Hébeux ayant manqué d'eau au Campement de Cadès, il frappa deux fois de la Baguette le Rocher, quoique, aux
termes précis des Ordres de Dieu, il dût simplement commander à la Pierre de donner de l'eau. C’etait cette même
année que devaient expirer les quarante ans d'exile dans le Desert. Quand le temps fut venu, le Seigneur dit à
Moïse: Voici que le jour de votre mort est proche, Appelez Josué, et entrez tous deux dans le Tabernacle de l’Alliance, afin que je lui donne mes Ordres. Ils obéirent. Le Seigneur parut dans une Colonne de Nuées, et leur dicta les principaux traits de l'Ouvrage. Il finit en leur disant, écrivez donc ce Cantique, et apprenez-le aux enfants d’Israël.  Qu'ils le retiennent par coeur. Qu'ils le chantent sans cesse, et que ce Poëme (Carmen) me serve à jamais de témoinage auprès d’eux. Moïse exécuta promptement les Ordres de Dieux. Il écrivit ce formidable Cantique, et le récita lui-même d’un bout à
l'autre en présence de tout Israël.

Texte II.2  'j'arme contr'eux' remplace 'j'adopterai'’dans 1751


CANTIQUE DE DÉBORA, ETC. (1751: CANTIQUE DE DEBORA ET DE BARAC )
I I I (1751: III)

Cecineruntque Debora et Barac filius Abinoem,  in illo die, dicentes: qui sponte obtulistis de
 Israël animas vestras ad periculum, benedi cite Domino. Jud. cap. V.

ARGUMENT.

Sisara, général des Chananéens, ayant été défait par Barac, s'enfuit à pied jusqu'à la tente de Jahël épouse
de Habert le Cinéem, y but du lait qu'elle lui présentadans une outre, et s'endormit. Alors Jahël ayant pris
un des grands clous qui servaient à soutenir sa tentele mit sur la temple de Sisara, et d'un coup de mar-
teau lui en perça la tête d'outre en outre, enfonçant le clou jusques dans la terre. Barac arriva dans ce mo-
ment, et trouva son enmemi étendu mort aux pieds de Jahël. La prophètesse Débora qui jugeait le peuple, et
qui avait ordonné à Barac de prendre les armes, entonnaavec lui ce beau cantique.  (Texte III.1)
 
 

 Louez le Dieu des batailles,
 Vous qui combattez pour lui.
 Peuples, loin de vos murailles
 La guerre et la mort ont fui.
 Ma victoire vous relève;
 Débora charge du glaive
 La main qui brise vos fers.
 Rois, soldats, que l'on m'écoute.
 Déjà la céleste voûte
 S'ouvre au bruit de mes concerts.

Sur les monts de Séir, aux champs de l'Idumée
Tu te couvris, Seigneur, d'une épaisse fumée,
Tu joignis l'eau du ciel à tes foudres brûlants:
Les rochers de Sina sous tes pieds éclatèrent,
     Et leurs débris tombèrent
Dans les feux redoublés qui sortaient de leurs flancs.

  J'ai vu la ligue fatale
  Des ennemis d'Israël,
  Porter sa fureur brutale
  Jusqu'aux tentes de Jahël:
  J'ai vu tous nos champs incultes
  Abandonnés aux insultes
  De brigands audacieux,
  Et nos tribus consternées
  Par des routes détournées
  Se dérober à leurs yeux.

Une femme s'oppose à leurs progrès funestes;
Mère de sa patrie, elle en sauve les restes,
Qui des fers d'un tyran ne pouvaient s'échapper.
Dieu s'ouvre à la victoire une nouvelle voie:
      Le chef qu'il nous envoie,
A combattu sans arme, et vaincu sans frapper.

  Vous dont les lois me sont chères,
  Dont les succès sont les miens,
  Vous, magistrats de vos frères,
  Vous soldats et citoyens,
  Venez, le Dieu des vengeances
  Brise les chars et les lances
  De vos tyrans étouffés.
  Quel retour de sa justice!
  Quels coups de sa main propice!
  Il combat, vous triomphez
.
Rentrez, peuple vainqueur, rentrez. sous vos portiques;
Lève-toi, Débora, commence tes cantiques,
Vers ton Dieu bienfaisant prends un sublime essor.
Et toi, Barac, mon fils (*Note 1), ornement de nos fêtes,
      Acheve tes conquêtes,
Poursuis, charge de fer les habitants d'Asor.

  Le cruel Amalec tombe
  Sous le fer de Josué;
  L'orgueilleux Jabin succombe
  Sous le fils d'Abinoé.
  Issachar a pris les armes,
  Zabulon court aux alarmes,
  Nephtali marche avec eux.
  Ruben, ton bras se repose!
  Pourquoi trahis-tu la cause
  De tes frères malheureux?

Lâche voisin de Tyr, peuple amoureux de l'onde,
Azer, quand sur nos bords le ciel s'allume et gronde,
La soif de l'or t'enchaîne au sein de tes vaisseaux;
Les rois des nations menacent ta patrie;
      Mais malgré leur furie,
Des torrents du Tabor leur sang grossit les eaux.

  Cachez-vous, tribus oisives,
  Faibles tribus, cachez-vous;
  Gardez vos ports et vos rives,
  Les cieux combattent pour nous.
  La trompette et le tonnerre,
  Des vils enfants de la terre
  Annoncent le triste sort.
  Pour nous pleine de rosée,
  Sur eux la nue embrasée
  Vomit la foudre et la mort.

Les débris de leur camp sont épars dans la plaine.
Le torrent de Cison dans ses gouffires entraîne
Les cadavres impurs dont ses bords sont couverts,
Sous cet horrible poids sa course est arrêtée,
      Et son onde infectée
Mêle des flots de sang à l'écume des mers.

  Malheur à vous, troupe vile,
  Ingrats peuples de Méros,
  Qui voyez d'un oeil tranquille
  Les périls de nos héros.
  Béni soit l'heureux courage,
  Qui d'un tyran plein de rage
  A déconcerté l'effort!
  A notre ennemi barbare
  La main de Jahël prépare
  Le lait, la couche, et la mort.

Pour la dernière fois il a vu la lumière;
Les ombres du sommeil ont couvert sa paupière,
Je vois lever le fer, et j'entends le marteau:
Le géant *(Note 2) se débat sous les pieds d'une femme
      Mord la poudre et rend l'ame
Dans les tristes horreurs d'un supplice nouveau.

  De sa mère qui l'appelle
  L'écho répète les cris:
  Dieux d'Azor, grands dieux, dit-elle,
  Quand me rendrez-vous mon fils
  En vain ma vue incertaine,
  Errant au loin dans la plaine
  Cherche ce fils glorieux;
  Je ne vois point la poussière
  Voler sous la marche altière
  De son char victorieux.

Calmez, répond alors l'épouse du barbare,
Calmez l'indigne crainte où votre âme s'égare,
Votre fils, mon époux, est vainqueur aujourd'hui.
Sans doute en ce moment, entouré de captives,
      Dans leurs troupes plaintives
Il choisit les beautés qu'il réserve pour lui.

  Il destine pour nos fêtes,
  Leurs plus riches vêtements;
  Il semera sur nos tetes
  Leurs perles, leurs diamants.
  Que nos ennemis gémissent,
  Mais que ces lieux retentissent
  Des exploits de nos guerriers;
  Que pour des têtes si chères
  Les épouses et les mères
  Entrelacent des lauriers.

Elles parlent: la mort tenait deja sa proie.
Meure ainsi tout mortel que ta haine foudroie,
Grand Dieu, ton peuple seul est fait pour la grandeur.
Qu'aux yeux des nations de sa gloire étonnées
      Ses vertus couronnées
Du soleil qui se lève égalent la splendeur.

*Note 1 Quelques auteurs, entre autres Saint Ambroise, ont cru que Barac était fils de Débora.

*Note 2  L'Ecriture ne dit point formellement que Sisara fût un géant; mais il était Chananéen, et l'on sait que la Palestine,
pays fertile en géants, prise dans un sens étendu, comprenait toute la terre promise, tant en-deçà qu'au-delà du Jourdain.
D'ailleurs, (Texte III 2), les Septante traduisent quelquefois par Gigas le mot hébreu Gibbor, qui à la lettre ne signifie
qu'un homme puissant. Dans la Génèse, pour caractériser Nemrod qui fut le premier roi, on dit qu'il commenca à être
puissant, Gibbor, sur la terre.

Texte III.1 (1751)

ARGUMENT

Sisara, Général des Armées de Jabin Roi de Chananéens, fut défait par Barac, et tous ses Soldats taillés en pièces, sans qu’il en reflât un seul. Le Vaincu abandonnant son Char, s’enfuit à pied jusqu’à la Tente de Jahël femme de Haber le Cinéen, dont la Maison n’était point en guerre avec le Roi Jabin.  Cette femme invita ce Général à entrer chez elle. Il le fit; il but du lait qu’elle lui présenta dans un outre, et s’endormit. Alors Jahël ayant pris un des grands clous qui servaient à soutenir sa tente, le mit sur la temple de Sisara; et d’un coup de marteau lui en perça la tête d’outre en outre, enfonçant le clou jusques dans la terre. Barac arriva dans ce moment, et trouva son ennemi, étendu mort aux pieds de Jahël. La Prophetesse Debora qui jugeait le Peuple, et qui avait ordonné à Barac de prendre les Armes, entonna avec lui ce beau Cantique.

Texte III.2 comme le remarque Dom Calmet


CANTIQUE D'ANNE

MERE DE SAMUEL.

IV (1751: VI)

Exultavit cor meum in Domino, & exaltatum est cornu meum in Deo meo.
Lib. I, Reg. cap. I I.

ARGUMENT.

Elcana lévite de la famille de Caath avait deux femmes,Anne et Phénenna. La premiere demeura longtemps stérile, et pendant que sa rivale augementait la famille de son époux, elle avait la douleur de ne lui point donner d'enfants. Après plusieurs années de stérilité, Anne pleine de confiance en Dieu, alla seule se présenter devant la porte extérieure du tabernacle. Elle y versa un torrent de larmes, adressa au Seigneur la prière la plus fervente, et fut exaucée. Elle conçut, et mit au monde un fils qu'elle nomma Samuel.  Cette sainte femme remercia Dieu par un cantique dont saint Augustin admire l'excellence et l'élévation.

      Le ciel enfin m'envoie
      Les biens qu'il m'a promis.
      Mon ame est dans la joie,
Et l'oeuvre du Seigneur confond mes ennemis.

      Le Dieu que je réveille,
      Le Dieu saint, le Dieu fort
      Ouvre à mes cris l'oreille,
Et de mes envieux anéantit l'effort.

      Tu croyais, femme altière,
      M'enlever ses faveurs.
      Sa divine lumière
A bientôt pénétré les replis de nos coeurs.

      Il a lu mes pensées,
      Il a vu ton orgueil.
      Tes grandeurs renversées,
Au port de la fortune ont trouvé leur écueil.

      Ainsi notre sort change,
      Le vainqueur est vaincu;
      Et Dieu même nous venge
Des maux et de l'opprobre où nous avons vécu.

      Par ses  lois souveraines
      L'esclave est affranchi,
      Le maître est dans les chaînes,
Le riche est indigent, le pauvre est enrichi.

      J'ai vu briller l'aurore
      De ma fécondité;
      La terre voit éclore
Le fruit, le tendre fruit que j'ai tant souhaité.

      Trop long-temps méprisée
      J'ai langui dans les pleurs.
      Ma rivale épuisée
De la stérilité connaîtra les horreurs.

      C'est le Seigneur qui règne,
      Il élève, il détruit.
      Que tout l'aime et le craigne;
Il parle, la mort vient: il commande, elle fuit.

      Du plus puissant royaume
      Il dispose à son choix;
      Et jusques sous le chaume
Sa main prend les rivaux, et les vainqueurs des rois.

      Il a placé la terre
      Sur d'épais fondements;
      Et tout ce qu'elle enserre,
Croît, multiplie, agit par ses commandements.

      Humble de cœur, le juste
      Invoque son appui.
      De son secours auguste
L'impie ose médire, et se tait devant lui.

      Il n'est point de sagesse,
      Seigneur, hors de ta loi.
      L'homme n'est que faiblesse,
Sa force, son repos, son bonheur vient de toi.

      Ils mourront d'épouvante
      Tes ennemis pervers;
      Ta foudre dévorante
De leurs crimes affreux purgera l'univers.

      Dans ce jour de victoire
      Où nous serons jugés,
      Tu couvriras de gloire
Ceux que les grands du siècle ont le plus affligés.


CANTIQUE DE DAVID

      V (1751: VII)

Considera, Israël, pro his qui mortui sunt super excelsa tua vulnerati.  Lib.II, Reg. cap.I

ARGUMENT.

David avait été contraint de quitter la cour de Saül. Il servait même contre ce prince dans l'armée d'Achis,roi de Geth; mais il ne se trouva point à la bataille de Gelhoé, où Saül fut tué avec trois de ses enfants,Jonathas, Abinadab et Melchisua. Les Philistins, (Texte V.1)traitèrent indignement les cadavres de ces quatre princes.David fut accablé de douleur à la nouvelle de leurmort. On sait le respect qu'il avait toujours conservé pour Saül, et l'amitié tendre qui l'attachait à Jonathas.Il chanta en leur honneur le cantique funèbre qui suit.(Texte V.2)

 Considère tes disgraces,
 Peuple abandonné des cieux;
 La mort a souillé tes traces
 Du sang le plus précieux.
 Elle a frappé tes collines,
 Tes champs sont pleins de ruines,
 L'appui du trône est tombé:
 Ces chefs longtemps invincibles,
 Ces chefs si forts, si terribles,
 Comment ont-ils succombé?

 Légions Israëlites,
 Dissimulez vos douleurs;
 Aux cruels Ascalonites
 N'annoncez pas nos malheurs.
 O Juda, que ta tristesse
 Se dérobe à l'allégresse
 Des femmes des Philistins;
 Et n'augmentons pas la joie
 Où ce peuple impur se noie
 Dans les jeux et les festins.

 De sang, montagne arrosée,
 Séjour de trouble et d'effroi,
 Gelboé, que la rosée
 Ne tombe jamais sur toi:
 Que dans tes flancs l'eau tarisse,
 Que tout germe s'y flétrisse,
 Que tout fruit sèche en sa fleur;
 Monument triste et durable
 De l'outrage irréparable
 Qu'a souffert l'oint du Seigneur.

 La mort attachait ses ailes
 Aux flêches de Jonathas;
 Saül des rois infidèles
 Exterminait les soldats.
 Fils aimable, père illustre;
 Que vous répandiez de lustre
 Sur nos jours les moins brillants!
 Que d'exploits sous de tels guides!
 Les aigles sont moins rapides,
 Et les lions moins vaillants.

 Toujours unis, la mort même
 Ne les a point séparés.
 Objets de ma crainte extrême,
 Filles d'Israël, pleurez:
 Pleurez des maîtres si justes,
 Qui dans nos fêtes augustes
 Versaient leurs dons sur vos pas;
 Et dont les mains triomphantes
 De parures éclatantes
 Ornaient vos jeunes appas.

 Vous adoriez leur empire,
 C'en est fait, ils ont vécu.
 Dieu loin de nous se retire,
 Et l'idolâtre a vaincu.
 Quels nouveaux guerriers s'avancent?
 Quels vils ennemis s'élancent
 Des vallons de Jesraël?
 Par des armes méprisées,
 Comment ont été brisées
 Les colonnes d'Israël!

 Héros du peuple fidèle,
 Prince tendre et généreux,
 Tu meurs: ô douleur mortelle
 Pour ton ami malheureux!
 O Jonathas! ô mon frère!
 Je t'aimais comme une mère
 Aime son unique enfant;
 Avec toi notre courage
 Disparait comme un nuage
 Qu'emporte un souffle de vent.

Texte V.1 ‘Les Philistins, cruels dans leur victoire,’ est dans 1751.

Texte V.2 la dernière phase de 1751: Il chanta en leur honneur le Cantique funèbre qu’on lit au premier Chapitre du second Livre des Rois; et qui commence ainsi, Confidera Israël.


CANTIQUE DE DAVID

VI

Confitemini Domino, & convocate nomen ejus.
Lib. I, Paralip. cap. XVI

ARGUMENT

David, ayant embelli et fortifié la ville de Jérusalem, prépara un lieu pour y placer l'arche du Seigneur. Elle y
fut transportée de Cariathiarim. On célébra cette auguste cérémonie avec beaucoup d'appareil. On offrit des
sacrifices et des holocaustes, David donna des festins au peuple, le bénit, et fit chanter par différents chœurs,
sous la direction d'Asaph, un cantique qu'il avait composé exprès, ou qu'il tira de psaumes fait auparavant.
On trouve en effet dans ce poème le commencement du Pseaume CIV et tout le XCV, excepté quelques versets.

A Chanter le Seigneur invitez tous les âges;
Parmi les nations publiez ses ouvrages,
Publiez ce qu'ils ont de merveille et d'appas.
O vous qui le cherchez, que de torrents de joie
      Fertilisent la voie
      Où s'impriment vos pas.

Cherchez ce Dieu si juste, accourez sur ses traces.
Son regard est pour vous l'avant-coureur des grâces
Qu'il accorde aux mortels de sa crainte remplis.
Demandez-lui la force, exaltez ses miracles,
      Et ses divers oracles
      Sur la terre accomplis.

Ne puisez votre honneur qu'en sa gloire immortelle,
Vous, race d'Abraham, son serviteur fidèle,
Vous, enfants de Jacob, qu'il nomma ses élus.
II faut que tout pouvoir devant le sien fléchisse;
      Par tout de sa justice
      Les droits sont absolus.

A ton maître éternel parle avec confiance,
Peuple heureux, souviens-toi que dans son alliance
Il reçut pour toujours Abraham et son fils;
Que Jacob, Israël, dans ce traité suprême,
      Par son amour extrême
      Furent encore admis.

Vous aurez, leur dit-il, un fertile héritage;
Et dans ce même temps, privés de tout partage,
Ils étaient peu nombreux, sur la terre étrangers.
De royaume en royaume, errants et sans patrie,
      Ils promenaient leur vie
      Au milieu des dangers.

Mais Dieu ne souffrit pas que l'orgueil ni l'audace
De son peuple encore faible insultât la disgrâce;
Souvent pour le venger il châtia des Rois,
Et leur dit: gardez-vous d'offenser mes Prophètes,
      Ces sacrés interprètes
      De mes divines lois.

Chantez donc le Seigneur, racontez ses prodiges,
Habitants de la terre où brillent ses vestiges,
Il vous sauve, vous garde, il vous suit en tous lieux:
Equitable en ses lois, grand dans ses récompenses,
      Terrible en ses vengeances
      Par-dessus tous les dieux.

Et qui sont-ils ces dieux qu'un peuple esclave adore!
D'insensibles métaux que l'ignorance implore;
Le nôtre a tout créé, l'univers est à lui.
Il mène sur ses pas la force et l'allégresse,
      Et sa gloire est sans cesse
      Où ses regards ont lui.

Peuples et nations, venez sous ses auspices,
Venez dans sa demeure offrir des sacrifices,
Offrez-lui des tributs d'amour et de respect
Sur son axe immuable à jamais suspendue,
      Que la terre éperdue
      S'incline à son aspect.

Que des flots étonnés les gouffires retentissent,
Que les plaines, les airs, les cieux se réjouissent,
Et d'une sainte horreur que tout soit pénétré.
Qu'après nous mille voix s'empressent de redire:
      Enfin dans son empire
      Le Seigneur est entré.

Les forêts chanteront, et leur concert sonore
Du soleil de justice annoncera l'aurore;
Dieu va juger la terre et lui rendre la paix.
Célébrez sa bonté, rendez-lui témoignage,
      O vous qui d'âge en âge
      Vivez de ses bienfaits.

Dites-lui: sauve-nous, toi qui sauvas nos pères.
Daigne nous rassembler des rives étrangères
Sur ces bords fortunés, séjour de ta grandeur;
Et que de siècle en siècle, Israël que tu venges
    Consacre à tes louanges
    Et sa bouche et son coeur.
 



Cantiques VII - XIII
Cantiques XIV - XX


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